" Bouches unies, ils goûtaient l'un à l'autre, les yeux clos, goûtaient longuement, profonds, perdus, soigneux, insatiables. Elle se détachait parfois pour le voir et le savoir, d'adoration le contemplait, les yeux insensés. Ils s'arrêtaient, se regardaient, se souriaient, haletants, humides, amis, et s'interrogeaient, et c'était la litanie.
Ainsi l'amour en ses débuts. O débuts, baisers des débuts, précipices de leurs destinées.
O débuts, deux inconnus soudain merveilleusement se connaissant, lèvres en labeur, langues téméraires, langues jamais rassasiées, langues se cherchant et se confondant, langues en combat, mêlées en tendre haine, saint travail de l'homme et de la femme, sucs des bouches, bouches se nourrissant l'une de l'autre, nourriture de jeunesse, langues mêlées en impossible vouloir, regards, extases, vivants sourires de deux mortels, balbutiements mouillés, tutoiements, baisers enfantins, innocents baisers sur les commissures, reprises, soudaines quêtes sauvages, sucs échangés, prends, donne, donne encore, larmes de bonheur, larmes bues, amour demandé, amour redit, merveilleuse monotonie.
O joies, toutes leurs joies, joie d'être seuls, joie aussi d'être avec d'autres, O cette joie complice de se regarder devant les autres et de se savoir amants devant les autres qui ne savaient pas, joie de sortir ensemble, joie d'aller au cinéma et de serrer la main dans l'obscurité, et de se regarder lorsque la lumière revenait, et puis ils retournaient chez elle pour s'aimer mieux, lui orgueilleux d'elle, et tous se retournaient quand ils passaient, et les vieux souffraient de tant d'amour et de beauté."