Aujourd’hui j’ai tué mon Créateur.
Pourtant, la journée a commencé comme toutes les journées fades et sans importance que l’on peut vivre quotidiennement. Rien d’extraordinaire. Que de l’ordinaire. Mais, pour moi, c’est un jour qui a tout changé. La vie est ainsi faite, je suppose. Pleine de surprises et d’inattendu.
Il parait cependant que parfois il est possible de sentir la roue du destin tourner. De voir le fil de la destinée nous mener dans une direction surprenante. Moi je n’ai rien vu venir. Je me suis levée comme tous les jours de mon existence sans rien attendre de ma vie.
Mon réveil a sonné à 6h30 exactement. Et, après quelques minutes, je me suis levée avec la même volonté qu’hier, mon travail m’attendait. Une fois arrivée, j’ai parlé, comme toujours ; j’ai souri, comme toujours ; j’ai été parfaite et efficace, comme toujours. Après tout, je suis une poupée bien réglée. Mes créateurs ont mis des années à faire de moi ce que je suis. Ils y ont consacré beaucoup de temps et d’énergie. Mon mécanisme ne connait pas de couac ! Je suis une poupée parfaite : je fais ce qu’on me dit, je suis toujours souriante, je suis extrêmement efficace. Personne ne se plaint de moi bien sûr et je ne me plains jamais moi-même.
Aujourd’hui j’étais la même qu’hier exactement. Et pourtant … aujourd’hui est un jour qui a tout changé.
Peut-être était-ce quelque chose dans l’air … ou dans l’eau … après tout même une poupée bien programmée est un être de chair et de sang ! Le souffle de la vie ne peut en elle se maintenir seul, il a besoin d’eau et d’air pour perdurer. Oui, un mauvais génie sans doute a introduit quelque chose en elle sans qu’elle ne s’en aperçoive, trop occupée qu’elle était à être parfaite !
Mais que faire quand une mécanique si rodée s’emballe ? Que faire quand la poupée s’éveille ? Faut-il donc la reprogrammer ? Faut-il donc effacer sa mémoire ? Faut-il la débrancher et la mettre à la casse ?
Où faut-il la laisser se retourner contre ses créateurs …
Peut-être finalement que le destin a joué un villain tour. Il faut se méfier des jours ordinaires qui détruisent tout sans que l’on y prenne garde.
Certains vous diront que la perfection n’est qu’un rêve. Une poupée vous dira qu’il s’agit d’un cauchemar. Je vous dis qu’il s’agit d’un enfer. Un enfer qu’on vit les yeux fermés car on refuse d’affronter le mensonge de la réalité. Je suis une poupée éveillée. Je vois les fils qui me manipulent. Et je me pose la question : vais-je les couper ? Vais-je détruire le mensonge ? Vais-je ouvrir les yeux sur l’enfer et l’accepter ?
Puis-je accepter que ma vie soit un cauchemar ?
Un cauchemar immoral et grotesque.
Une comédie lubrique et dégoutante.
Une poupée n’est pas faite pour ressentir le dégout pourtant. Ni la colère. Ni la haine. Ni la violence. Alors que faire ? Faut-il donc disparaître ou faut-il se battre ?
Faut-il être toujours victime ou faut-il être le bourreau ?
Si je dois choisir, alors je choisis de vivre.
Aujourd’hui j’ai tué mon Créateur.
Et je me suis réveillée.