Ça avait pourtant bien commencé pour elle. Fille unique, choyée, elle a l'impression que tout tournerait toujours autour d'elle.
Mais elle a vite déchanté quand elle a eu l'âge de faire ses petits calculs, qu'elle s'est demandée quand sa maman avait "voulu" faire un bébé. Je vous le demande, qui veut d'un enfant à peine mariée ?!
Oui, sa mère est tombée enceinte d'elle en voyage de noces... c'est malin! Pas moyen d'être tranquilles pour une bonne vingtaine d'années maintenant! Oh elle comprend mieux pourquoi ils n'ont jamais voulu lui faire de frères et soeurs... quand on n'avait pas prévu de faire d'enfant, une c'est déjà bien assez !
Surtout qu'elle est spéciale !
Elle a déjà décidé de se la jouer à la naissance... Arrivée en avance (encore une fois on ne l'attendait pas!) elle a un sixième orteil de surcroît! À en donner la berlue à ceux qui regardent ses petits petons potelés!
Et puis elle ne supporte rien... Elle pleure tout le temps, des grosses colères, en s'arrachant les joues de ses ongles déjà longs (s'il y a une chose qu'elle avait de beau, toute sa vie, c'était ses ongles... c'est déjà ça!), histoire de conserver déjà quelques cicatrices (vous le découvrirez plus loin, elle a un petit côté fétichiste, il faut qu'elle garde un souvenir de tout, c'est vital pour elle).
Elle ne fait pas les choses à moitié, elle ajoute à ça le "spasme du sanglot": quand elle n'est pas contente, elle retient sa respiration et elle devient toute rouge. Comme le petit Pépé dans "Astérix en Hispanie", qui disait tout le temps "et puisque c'est comme ça je retiens ma respiration!".
Du coup sa mère l'emmène chez le médecin. Il faut être très prudents. Dans la famille, il y a quelques dérangés, surtout la tante Sylvie, la soeur aînée de sa mère. Le médecin la connaît bien, et il fait tout de suite le parallèle:
"Madame, si vous ne voulez pas que votre fille devienne comme votre soeur, laissez-la pleurer, toute seule dans sa chambre. Ne vous en faites pas, elle ne se laissera pas mourir!".
Effectivement elle n'est pas morte tout de suite.
Elle apprend à marcher, sur dix orteils, vu qu'on a décidé de la déposséder du onzième à ses six mois. Je dis marcher, mais ce serait plutôt danser, parce qu'elle a eu toute sa vie une bande son dans la tête... vous savez, comme Ally mc Beal.
Sa mère grandit avec elle. D'ailleurs, quand elle se réveille le matin et qu'elle ouvre la porte de la cuisine, elle trouve sa mère occupée à remplir ses albums de coloriage.
- Maman veut t'avancer ma puce!
Et quand elle rentre de la maternelle, ses poupées sentent bon, elles ont pris un bain, et elles ont des belles robes toutes propres!
A la maternelle, elle n'y va pas très souvent. Sa mère dit à la maîtresse qu'elle pleure parce qu'elle ne veut pas quitter sa maman. Non, elle ne veut pas quitter sa maman parce qu'elle sait combien elle se sentira abandonnée quand sa progéniture aura passé le portail vert.
Et quand elle le passe, c'est l'angoisse! Elle se rappelle toutes les recommandations:
"N'escalade pas la cage à grimper! Si on t'embête reste bien à côté de la maîtresse".
Elle s'applique à bien l'écouter, c'est une enfant sage. Les autres enfants la trouvent un peu ridicule... lèche-bottes, on dit déjà ça à quatre ans?
C'est là qu'elle commence son cinéma. Et elle va jouer le même toute sa vie!
Elle veut qu'ils l'aiment ces enfants! Alors elle leur fait des dessins... mais eux ils rigolent, ils n'en veulent pas, ils en feraient quoi?! Elle s'était donnée du mal, elle s'était appliquée pour faire plaisir à Carole, à Valérie, ...
Elle est déçue, son petit coeur lui avait pourtant dit qu'elle devait leur faire plaisir. Elle n'y est pas arrivée, alors il lui fait mal.