All Apologies

Un journal de Journal Intime.com

Archive du journal au 09/10/2018.

Sommaire

1/03

1 mars 2012 à 16h58

Peur. Lassitude. Epuisement. Brûlure. Egratignure. Je tente bien de relever la tête, parfois. Mais pour regarder où ? Pour regarder quoi ? Aveugle, quel intérêt de lever les yeux vers un ciel vide, creux, sec, percé. Il disait souvent que je disais n’importe quoi. Il disait aussi que je devais réfléchir dans le mauvais sens, le sens interdit. Peut-être. Je ne le saurais jamais. Et à vrai dire le découvrir ne m’intéresse pas, ne m’intéresse plus. La lancinante migraine ne me quitte plus, elle. Je la traine comme un pavé de mélancolie. Sur tous les trottoirs de la ville, les rames de métro, les rails de train. Une fidèle parmi les infidèles. Elle revient de loin. Elle a trainé de ville en ville, de bras en bras. Elle a écouté à de nombreuses portes, a murmuré à trop d’oreilles, a frissonné à trop de souffle. Elle a enfin trouvé un refuge sûr. Un petit lieu où elle se sent à son aise pour marteler son existence insignifiante. Alors, heureuse, elle saute et tape des pieds, là, juste là, contre ma tempe. Témoin d’une vie (ou pas). Il disait que je n’étais pas faite pour tout ça. Il disait aussi que je dressai trop de barrières. Mais je ne sais pas construire de jardin soigneusement protégé. Avec de jolies allées de prairies, et de ces primevères jaunes et bleues avec quelques touches de neige ici et là. Avec de petits graviers qui collent aux chaussures des invités et du facteur. Et puis, il y a aussi ces arbustes aux formes étranges qui aimeraient bien grimper au ciel, mais qui ont les bras trop courts (non, je ne les ai pas coupé leurs bras). Et au bout, tout au bout, la porte rouge avec sa vitre teintée et ses barreaux de fer forgé. Et pas de nom. Ici n’appartient à personne. Et personne ne vient jamais ici. N’y viendra. Sans issue. L’orage finira bien par emporter tant de débauche et la pluie nettoiera les cailloux. Et d’autres que nous prendront possession des lieux. D’autres que nous regarderont qui d’un regard envieux, qui d’un regard bienveillant. Il disait que j’étais insaisissable. Il disait aussi que j’avais changé 100 fois de noms. Pour arriver jusqu’à lui. Mon geôlier, mon tendre geôlier. Il n’est pas si facile d’abandonner ta joyeuse prison. Des décennies que je tente de redécouvrir le jour. A trop sourire. A trop jouer le rôle que tu avais bien voulu me confier. Te souviens-tu des printemps passés à lire aux bords des chemins, à paresser sous la chaleur écrasante. Pas un mot. Mais ta nuque moite qui me précédait sur la route du monastère. Ces gouttes de sueur qui courrait de ton cou à ton dos, de ton dos à ton cul. Et moi à les regarder, perdue une fois encore. A imaginer les suivre du doigt, doucement. A en gouter le sel portant ton odeur. Avant de tomber. Ridicule. Et ce rire de gorge qui emplissait si bien tes yeux de toute la moquerie du monde. A s’en taper les cuisses. Te souviens-tu de ces parties de menteur où seul ton frère pouvait mener la danse pendant que ma sœur elle dormait si profondément. Du nombre de fois où nous avons pu perdre pendant que lui se gaussait de notre jeu minable. Et toi statue de fiel. Raide comme une forêt. Mains sur la table. Poignets si fins, pris de sursauts pendant que tes lèvres s’élevaient en un rictus mauvais. Bataille d’eau. La petite qui se réveille. Catastrophe d’opale. Tu disais que je n’aurais pas dû naitre, pas ici, pas maintenant, pas comme ça. Tu disais aussi que tu en étais malade. Je t’ai libéré. Et je suis restée clouer. Il vit pour deux, nos rêves, nos vies rêvées, nos jalousies et nos combats. Moi, moi, moi je ne suis que moi, moitié de moi qui ne m’appartient même plus tant je la distribue à qui le veut. Je ne suis pas sage. Je suis mauvaise. Je suis même aigrie parfois. La laideur m’insupporte. La bêtise me pousse à la violence. Et pour me punir de tant de méchanceté je m’oblige à supporter les pires d’entre eux. A revenir à de vieux démons. « J’ai assis la beauté sur mes genoux »… et je l’ai vomi par tous les pores de mon corps. Puisque toi, toi tu n’es plus là. Il me reste... gentil et attendrissant. Quelqu’un de bien, avec ses travers. Je suis en sécurité, il peut se rassurer. Je ne risque rien maintenant. Je vais bien, ne t’en fais pas. Merci.

2/03

2 mars 2012 à 12h57

Il est revenu. A croire qu’il ne quitte plus mes nuits. Pourtant je fais tout pour lui échapper. Mais il me rattrape souvent, toujours. Le noir fait place à son ombre. Saisissante. Il marche lentement. Ses pas sont si lents. Un flip flop sourd, une fumée qui s’effrite sous les assauts d’un vent absurde. Hantée par ce drôle de samouraï au casque habité par une souris. Une (très) petite souris dont on devine à peine le museau en pointe et la queue comme un fil de paon. Que fait-il là cet énergumène au seuil de mes nuits, à écorcher ces sandales à l’entrée comme s’il avait été invité ? Hein ? C’est que moi, j’avais pris l’habitude de ne plus rêver. Ne plus être importunée par toutes les pensées parasites qui peuvent s’acharner sur moi le jour. Faire en sorte que les nuits soient calmes à défaut d‘être apaisantes. Et le voilà. Faisant le fier à bras sous les écailles bronze. Le visage recouvert d’un film de cuir noir. Les mains ballantes. Les genoux hésitant. Il reste au loin. Il a du se perdre en route. Pas d’autres solutions à l’horizon. Quant à savoir qui se dissimule sous le masque. Sans doute la petite souris qui nourrit mon inconscient depuis si longtemps qu’elle en est devenue ma pire amie. Mais au creux de mes nuits je n’entends pas son pépiement agaçant et ses remarques grinçantes. Elle ne se fait pas même cynique. Elle reste figée tel une Liberté sur le haut du casque de mon tortionnaire. Parce qu’à le voir, et à le revoir et à le revoir encore, ça me bourre les entrailles. Presse. Presse. Presse. Encore. Plus fort. A vous en causer des contorsions. A vous en arracher des larmes. A vous en soulever la peau. La langue pendante, lourdement. Le cœur suspendu dans la poitrine et les larmes creusant des sillons acides sur les cils, les joues, les lèvres. Il avance, il avance… Elle vous fixe de son perchoir. Et il avance, il avance. Et elle est là. Sa queue balaie l’air opaque, poisseux, lourd. Ça pèse son pesant sur les épaules d’une endormie. Et pas un nuage. Non pas de répit blanc dans cet enfer translucide. Un peu de poussière pour marquer la réalité. Et c’est tout. Et crier n’est plus une option. Ça s’infiltre par tous les pores. Ça bloque les issues. C’est là comme une couverture de laine. De laine qui gratte au sang, qui gratte à mort. Comme ce vieux chandail en mohair qu’il traine parfois. Celui dont on ne peut plus voir la couleur en peinture. Et les nuits font place aux jours. Et les nuits lui font la part belle. Avec son cortège de douleurs anonymes et de tripes répandues dans la bouche. Mais rendez-moi mes songeries bluettes d’adolescentes pré pubères. Qu’il rentre dans son Japon infernal avec son exosquelette de cuir et de souris. Qu’il m’oublie tout comme je suis capable (un jour pour sûr je le serai) de les oublier, comme j’ai été capable de les rayer de ma mémoire (oui ça aussi un jour j’y parviendrai, promis je m’y attellerai, les gommer d’un geste, disparus, disparus…). Du vent ! (dernière incantation… après il faudra sans doute vivre et dormir avec).

5/03

5 mars 2012 à 12h09

La question se pose parfois d’elle-même. Et puis elle passe son chemin. Elle pourra prendre les grands boulevards, tranquillement. Le nez en l’air pour admirer les façades début du siècle. Elle croisera quelques touristes inélégants qui clic clic à tous les coins de rues, et ils sont nombreux. Puis elle pourra toujours continuer vers les grands magasins et leurs vitrines colorés, aux milles automates indécents. Qui des bas de soie, qui des chapeaux troublions, qui des talons qui percent le sol. La foule se fera plus dense par ici : les mailles à la dernière mode attirent les ombres du monde entier dans ce coin perdu de province. Et elle tournera en direction de la sainte église prostituée des livres non enfantés. Le mur.

6/03

6 mars 2012 à 9h59

J’ai levé la tête une fois encore. Trou noir. Paillettes argentées. Disque même pas rond. Quelques petites lumières incandescentes. C’était joli. Ça peut vous emmener loin. Je me suis laissé porter par le bleu environnant. C’est doux le bleu, ça apaise. Au final, j’ai tout ce que j’aurais pu désirer. Peut-être bien plus encore. Et pourtant tout ce que je veux c’est le retenir encore quelques instants. Juste poser une main sur une épaule. Sentir un souffle sur mon bras. Et ne jamais le laisser partir puis qu’il a promis de ne jamais disparaître. Alors on remonte dans le navire ancien. On traverse des océans inconnus, des parfums mille fois reconnus. Des écailles dorés surgissent, ici et là et là-bas aussi. Vent dans les voiles, moteur assourdissant. Et hop, à l’abordage ! C’est moelleux, c’est confortable. Accoudée au bastingage, je m’enivre d’eau salée. Oh, ce n’est pas limpide mais nous sommes bien loin des huiles croisées les semaines passées. Les choses sont plus légères. On s’envole, on s’envole ! Vite avant que le bleu ne reprenne une teinte violacée, une pommade verdâtre qui finira bien par devenir jaune et par cicatriser. La houle soulève les cœurs… fines palpitations d’excitation. On ne sait pas comment va finir ce curieux voyage. Sur une île désertique, habitée de crabes géants, aux pinces grises et acérées. Des crabes géants très sociables au demeurant. Une colonie bien sous tous rapports, avec des codes bien établis. Madame n’embête pas Monsieur qui reste courtois avec Madame et ainsi de suite. Quel chienlit ! Quel ennui ! Quittons ces mollusques dégénérés ! Revenons sur les eaux brumeuses ! Un peu de piquant pardi ! Le capitaine a déserté durant nos rares moments d’absence. Je n’ai pas voulu (réussi ?) à le retenir finalement. Ne me reste qu’un gout de poivre sur les lèvres et une sensation doucereuse sur les doigts. Et finalement, un bon ami. Quelqu’un avec qui partager les longues croisières été comme hiver. Pas palpitant. Pas d’autre capitaine, même si des rencontres inopportunes. Comme ces conversations télégraphiées et ces rendez-vous furtifs. Revenons au large et ne laissons pas les ancres s’assécher. Ce serait moche et dispendieux. Alors essayons de ne plus trop penser au capitaine parti pour les Indes, ni aux amants allemands… un peu de raison n’a jamais nuit (ah bon ?). Je suis folle… mais je vole. C’est mieux que rien.

7/03

7 mars 2012 à 18h24

Et pourtant, j’ai toujours cru ne pas aimer le café. Trop noir, trop amer, trop court… pas assez dans la tasse ou le gobelet. Et puis cette mousse camel qui ne ressemble à rien de connu, qui a des faux airs de champignons et qui te murmure gentiment mais surement « n’y reviens pas ou un de ses jours j’aurais ta peau ». Boisson sans consistance, sans virilité et sans délicatesse, boisson de machine à la va vite, sans cérémonial. Et moi j’ai besoin de cérémonial, de décorum. Même devant un verre en plastique translucide, pétri de plastique et de pétrole venu d’ailleurs, d’orient, de plus loin que ne porte mon regard. Ce café pourrait lui aussi être voyageur, petite saveur à valise aux quatre coins des songes. Mais voilà, il faut croire qu’il n’a pas le temps. Il est là, toujours, à sommeiller dans son lit de poubelle recyclable. Et moi avec lui. Comme tous les matins. Comme toutes les pauses que peut prendre une vie. Le café, ce lien social qui n’existe pas. Ce café du matin que l’on prend seul, sans trop savoir le pourquoi du comment. Parce qu’on en aurait besoin pour démarrer (comment ai-je pu me trainer jusqu’à cette machine sans ma dose de caféine se dira le drogué ?). Va comprendre. Je suis un automate. Et en digne automate, je prends le café de 9h, à la machine, avant de m’enfermer dans un bureau avec une porte en verre, isolée mais pas trop, pour ne pas donner l’impression d’être misanthrope, mais quand même un peu. Ne venez pas me chatouiller. Et une gorgé de café. Le reste refroidira invariablement. Ce qui ne nous empêchera pas d’aller chercher le café de 10h30, pour se dégourdir les jambes et pour justifier les visites aux toilettes. C’est qu’il faut bien se dénouer les jambes de temps à autre. Ne prenons pas le risque des escarres ou autre phlébite mal venue. Ne prenons aucun risque et restons pétrifiés dans cette rassurante routine. Ils arrivent. Silence.

8/03

8 mars 2012 à 16h17

Parce qu’on ne reviendra jamais sur ce qui aurait pu se passer des années plutôt, autant le vivre maintenant. Et le vivre pleinement, sans se poser de questions.
C’est vrai, il a raison. Nous aurions pu (du ?) entamer cette drôle de relation dès le début. A partir du moment où il m’a fallu lui demander les clés de son drôle d’appartement. Un deux pièces sombre aux murs habités de drôles de dessins. Un problème d’antenne de télévision. Lui assis sur une chaise, pendant des heures. Moi derrière un bureau à jouer les gouvernantes. Comment en étions nous arrivés à rire ? À s’appeler par nos prénoms ? À nous revoir ? À devenir ce que lui appelait déjà des « amis » ? Etonnant comme j’aurais aimé qu’il m’approche à l’époque. Pour faire je ne sais quoi, aller je ne sais où. Une histoire parallèle. Et puis, sans savoir comment, les choses sont simplement restées en l’état : raconte-moi tes aventures et tu verras ma platitude. Lui dit aujourd’hui qu’il y a eu un manque de temps. Evident. Je penserais plutôt à un manque d’audace. « Inaccessible », « difficilement approchable », « imprenable », «fantasme inassouvi ». Peu importe les images qu’il a pu projeter sur mon ombre, il ne m’a jamais perçu que comme un fantôme (compliment ?).
Tout cela est si naturel pourtant… Son bras sur mon épaule, ses lèvres au creux de mon cou, ma main… Si naturel que j’y entrevois quelque chose d’effrayant. Ma vie est une commode que je me suis efforcée de bien rangée. Chaque chose à sa place, dans un des quatre coins du tiroir rectangulaire. Le meuble est rouge. Les poignées sont en laiton travaillé, ciselé. Pour ouvrir chacun des compartiments il vous sera demandé une autorisation signée, en bonne et due forme. Des trésors y sont cachés, comprenez-vous ? Des souvenirs de l’un (le seul ?), des sentiments pour l’autre et maintenant des sensations inconnues pour « lui ». Que me restera-t-il au lendemain de cette histoire ? Ne pas y penser. Lâcher prise. Vis. Une fois seulement. Regarde toi vivre et apprécie le film. Tout un programme.

9/03

9 mars 2012 à 14h50

On aura tout le temps d’y penser quand on sera vieux. Bien le temps de simuler et d’y croire encore, un peu. Ce n’est pas l’heure de tomber ivre mort. Pas encore. Un jour, et puis un autre, et puis un autre, et puis un autre… On a bien le temps. Ne rien retenir de fâcheux. Même pas un peu. Et conserver les compliments dans une jolie boite décorée de fleurs vieillottes. Des fleurs bleues et jaunes, sur un fond vert d’eau. Vert d’étang ensoleillé. Pas une trace de noir, pas une trace de blanc. Rien que des couleurs ternes et un écrin de métal qui aurait vu les années passées avec un certain détachement. Il serait même un peu rouillé sur un bord, ou deux. Les charnières tiendraient sur un fil, l’intérieur agréablement recouvert d’une suédine pourpre. Un peu élimée, juste un peu. Les pensées, elles auraient été jetées dedans puis oubliées avant d’être retrouvées. Par on ne sait qui, par un esprit fallacieux.
« Tu n’es pas conventionnelle », « j’aime l’idée que tu m’appartiennes », « je t’ai toujours vue comme une forme évanescente, insaisissable (dois-je y croire ?) »… de beaux souvenirs à mettre à l’abri en attendant. On en reparlera à soixante-dix ans, attablé comme tous les dimanches devant la table du salon. On en rira surement. J’aurais sans doute oublié les contours de son visage et les reliefs de son corps mais il m’en restera quelques mots sous cocaïne. Je pourrais en sourire et me dire que oui, ça aussi ça a existé, un bref instant mais ça a été une réalité. Fourbue et apaisée je nous repasserais le film. Sans parole, sans couleur, sans musique. Une sensation à la fois. D’abord un étrange sentiment de malaise, un vertige, une migraine qui ne tambourinerait pas. La respiration qui se coupe et qui entraine le cœur dans une course un peu folle. Burn out. A soixante-dix ans on n’y survit pas à la nostalgie.

12/03

12 mars 2012 à 17h04

Le soleil est venu frapper à ma fenêtre ce matin. Et il n’a pas cherché à s’enfuir. Il est resté. Il s'est insatllé sur le banc. Bien au milieu. Il a croisé ses longues jambes et n'a plus bougé. Il a posé sa veste. Il a posé son chapeau feutré. Puis, il a sorti son livre. Méticuleusement, il a parcouru le texte, lentement. Son doigt suivait les mots, s’attardait parfois sur quelques lettres. Le soleil aime dodeliner de la tête lorsqu’une strophe lui rappelle les tendres nuits passées à flâner au bord de je ne sais quel lagon. C’est que c’est un sentimental. Un romantique. Il est comme ça le soleil. Attention cependant à ne pas susciter son courroux ! Sa langue peut devenir ce large fouet qui vous lacère au sang ! Vous ne le sentirez pas venir ! Sur les épaules ! Sur les joues ! Sur le ventre pour les plus imprudents ! Et pour les plus vicieux, sur les pieds ! Mais ce matin, le soleil était de bonne humeur. Le weekend a été bon, il est reposé. Douce caresse apaisante sur les bras, les oreilles, la nuque. Un peu de repos. Salutaire.