Peur. Lassitude. Epuisement. Brûlure. Egratignure. Je tente bien de relever la tête, parfois. Mais pour regarder où ? Pour regarder quoi ? Aveugle, quel intérêt de lever les yeux vers un ciel vide, creux, sec, percé. Il disait souvent que je disais n’importe quoi. Il disait aussi que je devais réfléchir dans le mauvais sens, le sens interdit. Peut-être. Je ne le saurais jamais. Et à vrai dire le découvrir ne m’intéresse pas, ne m’intéresse plus. La lancinante migraine ne me quitte plus, elle. Je la traine comme un pavé de mélancolie. Sur tous les trottoirs de la ville, les rames de métro, les rails de train. Une fidèle parmi les infidèles. Elle revient de loin. Elle a trainé de ville en ville, de bras en bras. Elle a écouté à de nombreuses portes, a murmuré à trop d’oreilles, a frissonné à trop de souffle. Elle a enfin trouvé un refuge sûr. Un petit lieu où elle se sent à son aise pour marteler son existence insignifiante. Alors, heureuse, elle saute et tape des pieds, là, juste là, contre ma tempe. Témoin d’une vie (ou pas). Il disait que je n’étais pas faite pour tout ça. Il disait aussi que je dressai trop de barrières. Mais je ne sais pas construire de jardin soigneusement protégé. Avec de jolies allées de prairies, et de ces primevères jaunes et bleues avec quelques touches de neige ici et là. Avec de petits graviers qui collent aux chaussures des invités et du facteur. Et puis, il y a aussi ces arbustes aux formes étranges qui aimeraient bien grimper au ciel, mais qui ont les bras trop courts (non, je ne les ai pas coupé leurs bras). Et au bout, tout au bout, la porte rouge avec sa vitre teintée et ses barreaux de fer forgé. Et pas de nom. Ici n’appartient à personne. Et personne ne vient jamais ici. N’y viendra. Sans issue. L’orage finira bien par emporter tant de débauche et la pluie nettoiera les cailloux. Et d’autres que nous prendront possession des lieux. D’autres que nous regarderont qui d’un regard envieux, qui d’un regard bienveillant. Il disait que j’étais insaisissable. Il disait aussi que j’avais changé 100 fois de noms. Pour arriver jusqu’à lui. Mon geôlier, mon tendre geôlier. Il n’est pas si facile d’abandonner ta joyeuse prison. Des décennies que je tente de redécouvrir le jour. A trop sourire. A trop jouer le rôle que tu avais bien voulu me confier. Te souviens-tu des printemps passés à lire aux bords des chemins, à paresser sous la chaleur écrasante. Pas un mot. Mais ta nuque moite qui me précédait sur la route du monastère. Ces gouttes de sueur qui courrait de ton cou à ton dos, de ton dos à ton cul. Et moi à les regarder, perdue une fois encore. A imaginer les suivre du doigt, doucement. A en gouter le sel portant ton odeur. Avant de tomber. Ridicule. Et ce rire de gorge qui emplissait si bien tes yeux de toute la moquerie du monde. A s’en taper les cuisses. Te souviens-tu de ces parties de menteur où seul ton frère pouvait mener la danse pendant que ma sœur elle dormait si profondément. Du nombre de fois où nous avons pu perdre pendant que lui se gaussait de notre jeu minable. Et toi statue de fiel. Raide comme une forêt. Mains sur la table. Poignets si fins, pris de sursauts pendant que tes lèvres s’élevaient en un rictus mauvais. Bataille d’eau. La petite qui se réveille. Catastrophe d’opale. Tu disais que je n’aurais pas dû naitre, pas ici, pas maintenant, pas comme ça. Tu disais aussi que tu en étais malade. Je t’ai libéré. Et je suis restée clouer. Il vit pour deux, nos rêves, nos vies rêvées, nos jalousies et nos combats. Moi, moi, moi je ne suis que moi, moitié de moi qui ne m’appartient même plus tant je la distribue à qui le veut. Je ne suis pas sage. Je suis mauvaise. Je suis même aigrie parfois. La laideur m’insupporte. La bêtise me pousse à la violence. Et pour me punir de tant de méchanceté je m’oblige à supporter les pires d’entre eux. A revenir à de vieux démons. « J’ai assis la beauté sur mes genoux »… et je l’ai vomi par tous les pores de mon corps. Puisque toi, toi tu n’es plus là. Il me reste... gentil et attendrissant. Quelqu’un de bien, avec ses travers. Je suis en sécurité, il peut se rassurer. Je ne risque rien maintenant. Je vais bien, ne t’en fais pas. Merci.