Morceau du jour: Sunrise _ Norah Jones
Charlie est rentré hier soir.
Je l'ai vu aujourd'hui. Nous sommes allés chez Mathis. Il n'était pas là et son père non plus. En revanche, sa mère, Annie, était là, avec ses deux gamins de 2 et 4 ans. Il y avait une autre femme, mais je ne sais pas qui c'est exactement. Son fils de 6 ans était avec elle.
Ils étaient en train de décharger une camionnette pleine de conserves, de boissons, d'alcool et plein d'autres pour les ranger sur les étagères de l'épicerie. Elle ouvre demain, d'ailleurs. Du coup, Charlie et moi sommes restés les aider. Annie et la femme changeaient sans arrêt les produits de place, hésitant quant à l'endroit où les placer. Les enfants, qui aidaient, enfin surtout les deux aînés, ont fini par commencer à piailler et chahuter comme des singes. C'était fatiguant!! La petite voulait prendre à tout prix un paquet de céréales Nesquick, et sa mère le reposait à chaque fois sur l'étagère. La petite insistait et on était obligé à chaque fois de lui retirer le paquet des mains. J'étais morte de rire. Elle s'est mise à chialer parce qu'elle avait mis du nutella sur son tee-shirt. Elle a même réussi à porter toute seule un paquet de lentilles corail de 5 kilos. Il faisait quand même la moitié de sa taille. A la fin, Annie les a emmenés chez une amie à elle pour ensuite aller chercher des fruits et légumes. Nous sommes restés, la femme, moi, Charlie et le gamin de 6 ans. On a mis en place tous les alcools dans la salle principale et on a sorti les pots de fleurs dehors. Un moment, je m'étais rendu compte qu'il y avait un siège de toilettes. J'ai dit, morte de rire:
- Et les toilettes, on en fait quoi?
Tout le monde a semblé remarquer les toilettes que j'avais repérées depuis un moment. Et on a tous éclaté de rire. Finalement, Charlie et moi sommes partis.
Mais j'ai passé un bon moment. Je me sentais à l'aise. Je tutoyais Annie sans peine, je n'étais pas gênée et l'atmosphère était détendue. Ca m'a fait bizarre... Souvent, quand je rencontre des gens, je suis très gênée et tendue en leur présence. Enfin, ça dépend des personnes. Surtout les adultes. J'ai du mal à les tutoyer et je parle peu. Je me renferme dans ma coquille. Mais là, c'était tout naturel. Sans doute parce que Annie est une femme ouverte, accueillante et très sympa. Et puis c'est une jeune femme... je lui donnerais dans la trentaine. Non, quand même un peu plus. 35 ans, je dirais.
Mais c'est bizarre. Ma demi-soeur est plus jeune qu'elle, elle va sur ses 30 ans. Et pourtant, je ne me sens pas à l'aise avec elle quand je la retrouve. En fait, à chaque fois, elle finit par réussir à me détendre, et à chaque fois que je la revois, il faut qu'elle me mette à l'aise à nouveau. C'est bizarre.
L'épicerie va être chouette! Je la trouve super sympa, avec le bar qui sert de comptoir, les spots au plafond, les poutres, le papier peint prune, les images "coca cola" et cie en fer blanc sur les murs, les caisses en bois avec des écritures dessus... J'adore.
Ensuite, Charlie et moi, on est allés avec nos vélos dans le village. Sauf qu'il n'arrêtait pas de me faire faire des tours et des détours... A la fin, j'en ai eu assez et je suis rentrée chez moi. Je lui fais la gueule. J'en ai assez. Il m'énerve.
Je ne comprends toujours pas pourquoi je m'énerve pour ça. Il l'a dit lui-même, c'est inutile... La vérité, c'est que j'en ai assez qu'on joue avec moi. Je ne suis pas un jouet, et c'est tellement humiliant et douloureux quand un ami proche joue avec toi.
L'année dernière, Loïs n'arrêtait pas de se moquer de moi, gentiment. J'en avais marre, mais, en même temps, aveuglée par le grand, le vrai amour, j'aimais ça. Je le lui avais dit, d'ailleurs. Que j'aimais ça, parce que c'est lui qui le faisait.
Maintenant, j'ai la tête hors de l'eau. J'avais parfois l'impression que je n'étais qu'un jouet pour lui, que je ne servais qu'à l'amuser. D'autant plus qu'il adorait m'embêter pour me voir m'énerver. Ca l'amusait. Je détestais ça. Mais je l'aimais trop. Alors je ne disais rien. Je finissais par aimer ça, parce que c'est lui qui le faisait, et parce que je m'étais résignée. Je savais que si je lui faisais une scène, je lui ferais la gueule et il ne ferait rien pour que je lui reparle. Et que si je tentais de lui expliquer calmement, il rigolerait et continuerait. Je n'aurais rien à gagner, au final. Alors je me résignais.
Un truc qui me faisait tellement souffrir, c'est que quand je boudais, Loïs ne faisait jamais rien pour que je lui reparle. En fait, si. Il avait sa manière bien à lui. Il me faisait rire, parce qu'il savait parfaitement que je n'arrivais jamais à résister à ça. Mais il n'a jamais cherché à régler le problème. Il n'a jamais cherché pourquoi je lui faisais la tête. En fait, je suis une simple bonne copine pour lui. Je ne suis rien de plus. Si j'étais vraiment une amie, il me demanderait pourquoi je vais mal, ou je fais la gueule, ou tout truc dans ce genre. On est très proches, on était tout le temps collés l'un à l'autre, on s'aime beaucoup, mais voilà. Notre relation n'a rien d'une vraie amitié. Je lui ai rarement confié des choses, et lui ne m'a carrément jamais rien dit. Notre relation n'a rien d'intime. Il y a juste qu'on aimait beaucoup s'amuser ensemble. Loin des yeux, près du coeur? En fait, c'était carrément le contraire. Près des yeux, loin du coeur.
C'est affreusement déprimant.
Il y a une fois où Loïs a cherché à comprendre pourquoi j'allais mal. Une seule.
Tout le monde n'était pas là, il y avait des profs absents ce jour là je crois. Nous avions mangé en cercle restreint le midi, je m'en souviens.
A cette époque, c'était en troisième, il y a quelque mois, et je m'étais résignée à faire une croix sur Loïs. C'étais obligé qu'il ne m'aimait pas. Et ce jour là, j'étais franchement morose.
Bref, je n'ai pas beaucoup parlé à Loïs. A midi, j'étais même tellement triste que j'ai été obligée de recourir à ma méthode artificielle pour pleurer, parce qu'il fallait vraiment que je sorte ma tristesse. J'ai versé une larme. Une seule larme. Mais tout le monde l'a vue et m'a demandé ce qui n'allait pas. Oh, je n'en savais pas grand-chose. Mais maintenant je sais que c'est parce que j'avais renoncé à tout espoir.
Loïs a demandé à Alex si je faisais la gueule à cause de lui. Elle m'a demandé si je faisais la gueule à cause de lui. Je lui ai dit que non. Elle lui a dit que non. Il a demandé à la cantonnade:
- Qui vient chercher mon sac avec moi? J'ai la flemme d'y aller tout seul.
J'ai dit:
- Bah moi, si tu veux...
On est allés tous les deux vers la salle des cartables, et Loïs m'a dit:
- Est-ce que tu fais la gueule à cause de moi?
A vrai dire, je m'y attendais un peu. Je voulais répondre à sa question avant même qu'il la pose. Mais je ne savais pas comment aborder le sujet. Jamais on n'avait été sur ce terrain là tous les deux, et il m'était inconnu. En fait, ça m'arrangeait qu'il me pose la question, parce que ça me donnait une bonne raison de répondre.
- Bah non, t'inquiètes pas. Pourquoi je la ferais? Et puis jamais je ne ferai la gueule à cause de toi. Je t'adore! ai-je ajouté en souriant.
Ce qui est vrai, finalement.
- Je t'adore! ai-je ajouté en souriant.
Je lui ai pris le bras. C'était ma façon à moi de lui dire "je t'adore", même si je le lui avais déjà dit.
A la fin de la journée, nous avions deux heures de technologie. J'étais à côté de Loïs. En fait, vendredi était un de mes jours préférés parce que j'étais trois heures à côté de Loïs en cours. Bref, j'étais silencieuse et maussade. Au bout d'un moment, Loïs s'est tourné vers moi et m'a dit:
- Mais qu'est ce qui se passe?
J'ai cru que j'hallucinais. Depuis quatre ans qu'on se connaissait, Loïs s'intéressait vraiment à moi, pas seulement comme une copine, mais comme une amie. Il se souciait de moi. J'ai dit " mais rien", et je suis retournée dans mes pensées. En fait, je continuais à faire la gueule exprès pour qu'il insiste, pour qu'il s'intéresse à moi, qu'il se soucie de moi, qu'il me voie autrement qu'une copine.
Il a dit:
- Je suis sûr que tu fais la gueule à cause de moi.
J'ai dit:
- Mais non, je fais pas la gueule.
Mais dans ma tête, je me disais: oui, je suis triste. Je t'aime, depuis quatre ans, j'attends désespérément, et toi tu ne m'aimes pas, j'attends inutilement, alors oui, je suis déprimée. Mais ça, je ne peux pas te le dire.
Il n'a pas insisté. A ma grande déception. Mais à quoi ça aurait servi, de toute façon.
C'est la seule fois où Loïs m'a vue autrement qu'une copine.
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Sinon, ses potes passent avant moi. Ben H. me gifle la cuisse avec son élastique, c'est moi qui suis en tort parce que je me suis énervée. Le midi? Il mange avec ses potes. Même quand on sort dans Issou, il me laisse tomber et va jouer au foot avec des mecs qu'il fréquente moins que moi et la bande réunis.
Aujourd'hui, maintenant que j'ai tourné la page, je me rends compte à quel point j'ai souffert, et je souffre encore quand je déterre ces souvenirs douloureux.
Je le déteste de m'avoir fait souffrir comme ça.
Le pire, c'est qu'il faut que je me remémore. Tout. Je pense qu'il le faut, parce que... en fait, je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi. Mais maintenant que j'ai tourné la page, j'ai l'impression que j'ai besoin de replonger dans ces souvenirs empoisonnés pour mon bien-être. Peut-être pour m'assurer d'avoir bien tourné la page.
En fait, maintenant, je me demande si j'ai vraiment tourné la page.
Ce que j'ai peur, c'est de retomber encore. L'année dernière, entre quatrième et troisième, j'avais bien tourné la page... et pourtant au fil du temps, je suis retombée. Et si ça m'arrivait encore?
L'autre jour, Steph Le. (un autre ami, oui je sais il a le même nom que Steph Li., c'est pour ça que je mets leurs débuts de nom de famille) m'a raconté sur msn que Loïs avait rencontré une jolie brune à la fête foraine de leur village, et que Steph aurait bien voulu tenter sa chance mais que elle parlait déjà à Loïs et ils avaient leurs portables dans leurs mains. Il lui avait demandé s'il lui avait reparlé depuis et si elle lui plaisait. Il ne lui avait pas répondu.
Je ne savais pas trop quoi dire. Je ne savais pas trop ce que j'en pensais. En fait, j'ai été super contente pour lui, et je n'arrêtais pas de me dire: " Loïs, amoureux d'une fille!" (bon ok, il n'allait pas être amoureux d'un mec, il est hétéro puisqu'il adorait mater l'une des surveillantes du collège. Ce qui me rendait dingue de jalousie d'ailleurs.) Je n'en revenais pas.
Le lendemain, Steph m'a dit qu'il m'avait raconté n'importe quoi pour voir comment j'allais réagir. Et il a ajouté que je ne devais plus l'aimer si j'étais aussi joyeuse pour lui.
Mais maintenant, je me pose des questions.
J'espère que Charlie arrêtera de me faire tourner en bourrique comme ça. Ca ne fait que me rappeler toutes les fois où on a joué de moi. Et la blessure s'envenime un peu plus.