Pourquoi crois t’on en Dieu ? Peut-être tout simplement pas peur. Pour avoir une présence rassurante, se convaincre que quelque part il y a quelqu’un qui veille sur nous et nous protège. Je ne crois pas ou plutôt plus en Dieu. Avant, je pensais que si Dieu existait il avait peut-être décidé de ne pas intervenir, de nous laisser libre par amour pour nous, pour que nous ne soyons pas des êtres déterminés sans liberté.
Effectivement, il nous a laissé la liberté. Trop peut-être. Il permet que tant de mal nous soit infligé. C’est quand arrive le pire, qu’on le supplie d’intervenir qu’il fait la sourde oreille, qu’il nous laisse lâchement tomber, seuls, désespérément seuls. Toujours seuls.
Cette nuit-là fut peut-être l’apothéose de ma haine envers Dieu. Il n’a strictement rien mais rien fait. Il m’a laissé seule, désarmée.
C’est à ce moment-là que j’ai compris pourquoi je détestais ce corps. Je le trouvais gros, disgracieux, je ne pouvais plus le contrôler…Il me donnait envie de vomir. Maintenant tout cela n’a plus d’importance puisque ce n’est plus mon corps. C’est un corps, parmi tant d’autres. Un bout de chair, d’os, de réactions chimiques. Ce n’est pas moi. Je ne veux et ne peut pas me limiter à cette vision de moi. Personne ne m’atteindra plus jamais à travers ce corps.
Malgré ces bonnes résolutions j’y reste irrémédiablement attachée. Le pire est le métro ou les cours. Tous ces gens autour de moi, j’ai l’impression qu’ils m’étouffent, qu’ils se rapprochent pour me faire du mal. J’essaie de contrôler mon dégout au maximum mais c’est si dur de faire bonne figure quand une main me frôle ou que je dois faire la bise à mes amis. O m’a demandé un chewing-gum hier, en lui passant sa main a touché la mienne c’était horrible, j’en ai tremblé pendant quelques minutes. J’ai l’impression que ce que je ressens est inscrit sur mon visage, qu’ils savent. Mais non personne ne sais et personne ne saura rien.
J’aimerai hurler ce qui s’est passé, hurler, frapper me défouler mais non je ne peux pas. Je n’ai pas le courage d’affronter les conséquences de mes actes. Je traite sans arrêt les autres de lâches mais j’en suis moi-même une. Il n’y a que C qui sait, sans les détails bien sûr. Mais elle sait et je n’aurais jamais dû lui dire. Maintenant à chaque fois que je la vois je revois les flashs de cette nuit-là, je vois dans ses yeux ou j’imagine ce qu’elle peut en penser et c’est terriblement stressant. Comment me voit-elle à présent ?
J’ai l’impression que j’en fais trop, que je sur joue tout ça mais je n’arrive pas à faire autrement, à passer à autre chose. J’essaie de me détacher de ce corps, de m’en évader mais il est devenu une prison. Une prison qui me définit aux yeux des autres. Finalement c’est moi qui me détruit toute seule, sans l’aide de personne, comme une grande. Je sais bien que j’essaie d’attirer l’attention pour qu’on me demande si ça ne va pas, mais à chaque fois qu’on me pose la question mon cœur se serre et je réponds comme d’habitude que je suis fatiguée. Ce qui n’est pas un mensonge. Je n’arrive plus à dormir, ou plutôt j’ai peur de m’endormir, de revivre la scène en entier sans pouvoir appuyer sur stop. J’ai peur de me réveiller nue et de me demander ce que je fais dans un endroit inconnu. J’ai peur tout simplement. J’ai peur et personne n’est là. Ou plutôt je veux que personne ne soit là pour moi. Je ne veux pas de la pitié des autres, je ne veux pas voir l’indifférence se peindre sur les visages de ceux que j’aime.
Il faut que j’oublie. Mais je n’y arrive pas. Je pourrais céder à la facilité par des moyens pas très légaux mais ce n’est pas la solution je le sais bien. J’en ai déjà fait assez comme ça, je ne veux pas devenir un sac à problèmes. Plus jeune je voulais devenir fine pour être admirée me sentir bien, maintenant c’est pour me débarrasser, me purifier, effacer d’une certaine manière ce corps. Je voudrais disparaitre en fait. Oublier, m’oublier.
Tout ça m’a fait prendre conscience de tant de choses. Oui les hommes sont cruels, pire que cruels parce qu’ils savent parfaitement ce qu’ils font, ils sont responsables de leurs actes et ne pensent que sexe. B parlait en cours du désir, du sentiment amoureux. Tout ça c’est n’importe quoi. Ce ne sont que des mensonges pour maintenir et contenir les masses. Les hommes ne pensent qu’à satisfaire leurs pulsions. Peu importe qui, quand, ou. Tant pis si on se trouve sur leur route, si on est assez naïve pour croire en ce qu’ils disent, pour accorder sa confiance. Tiens encore quelque chose en quoi je croyais, la confiance. Eh bien c’est terminé tout ça. Je n’ai plus confiance, en personne, enfin si en C parce qu’elle m’a dit qu’elle ne dirait rien. C’est tout.
Je relativise tellement maintenant, je me tracassais pour mes études, la famille, les amis... Quelle importance cela peut-il avoir maintenant ? J’ai l’impression que tout a changé, que rien ne sera plus jamais comme avant. Je voulais me laisser mourir, me perdre dans l’oubli, ma peine. Je me suis dit que c’était peut-être l’occasion de tester ma réaction face aux difficultés de la vie et non je ne suis pas courageuse, oui je suis morte de peur, dévastée, chamboulée et je n’arrive pas trop mal à le cacher. En ce sens je suis forte. Mais c’est un équilibre trop précaire, je ne sais pas combien de temps je vais tenir à ce rythme. Ces coups de pression, pas des crises d’angoisse mais je ne sais pas dès que l’on s’approche du sujet j’ai les mains qui tremblent, le souffle court et les battements de cœur qui s’accélèrent. La technique est de boire de longues gorgées d’eau (ou de mojito au choix) mais j’ai l’impression que ça fait de moins en moins effet.
J’ai choisi la vie alors maintenant je dois la vivre. Mais quelle attitude est-ce que je suis supposée avoir ? Je ne peux pas oublier. Est-ce que j’en ai seulement le droit ? Je me renierai, renierai ce que je suis, ce que je suis devenue. Même si je ne veux pas me définir par ce qui s’est passé, c’est quand même une partie de moi. Une méfiance qui ne s’effacera jamais. Déjà que je n’avais pas confiance en moi maintenant j’ai limite peur de moi, de ne plus savoir ou sont mes limites. J’ai l’impression de faire le contraire de ce que je devrais faire. Je devrais me morfondre sur moi-même, pleurer et ne plus vouloir parler aux autres mais non. Après une période comme ça j’ai limite envie de ressortir, de faire des conneries, de me perdre définitivement, totalement. C’est complètement stupide mais je ressens ça comme une urgence de vivre. On ne sait jamais. Les certitudes, ce qui me paraissait aller de soi il y a quelques mois me semble maintenant imprégné de doutes. Je suis devenue une vraie petite aigrie, méfiante de tout le monde. Même quand je marche dans la rue j’ai l’impression qu’on me dévisage.
Les regards peuvent être si parlants, si révélateurs. Je ne sais pas quel est mon regard, si les gens arrivent à déchiffrer mes pensées, j’espère que non. Je me souviens de LEURS regards, j’aimerais dire qu’il n’y avait rien d’humain en eux que ce n’était que deux bêtes, cruelles, deux animaux. Mais non. C’était bien des hommes. C’est ceux que l’on croise tous les jours dans la rue, qui ont l’air d’être respectables comme ça, des gens normaux, les types qui sont banals par excellence. Je crois que c’est ça qui fait le plus mal. Ce ne sont pas des dégénérés, des pervers qui font ça ce sont des gens comme vous et moi. Enfin vous je ne sais pas mais moi non c’est clair. Je crois que cette perversion est inhérente aux hommes. Sinon pourquoi ? Pourquoi ont-ils fait ça ? Pourquoi m’ont il fait ça, à moi ? Enfin soyons réaliste deux secondes. Je n’ai absolument pas cherché ce qui m’est arrivé. Je suis responsable c’est vrai mais pas au sens où j’ai voulu ce qui s’est passé, au sens où je n’ai pas été assez prudente. Comment pouvaient-ils prendre un quelconque plaisir à faire ça ? Comment ? Faire ça à un corps à moitié inconscient à la limite j’aurais pu comprendre mais quand j’ai repris mes esprits ils auraient pu s’excuser, me laisser partir mais non. Ils ont continué encore et encore. Je voulais tant que ça s’arrête je leur demandais pourquoi. Mais ils ne répondaient pas. Ils prenaient leurs pieds ces connards. Et moi j’étais là comme une conne à attendre sans me débattre parce que ça n’en valait plus la peine, mes muscles étaient tétanisés. Je n’arrivais plus à esquisser le moindre geste. C’était une sensation horrible, celle de ne plus pouvoir maitriser son corps. Je ne voulais pas perdre connaissance parce qu’ils en avaient profité déjà trop longtemps. J’espérais bêtement que quelqu’un vienne m’aider, réaliser ce qui se passait mais non rien ce s’est passé.
Toutes ces pièces de théâtres, ces textes sur la dignité. J’ai vraiment compris le sens de ce mot que cette nuit-là. Finalement tout ça m’aura été riche en enseignements. Pour en revenir à ma dignité et bien que dire sinon le fait que je l’ai perdue. J’ai été humiliée, obligée de faire de voir des choses qui n’auraient jamais dû arriver. Je me sens sale, souillée. Sur le coup j’avais mal, envie de crier et m’enfuir et puis au bout d’un moment, quand j’ai vu que je ne pouvais rien faire sinon attendre la fin, je suis sortie de mon corps. Pas littéralement évidemment. J’avais l’impression de m’observer de l’extérieur, de ne plus être moi. Peut-être les effets secondaires du GHB je ne sais pas. Ceci étant que ça m’a sauvée. Je me suis détaché de ce qui m’arrivait. J’ai eu de la chance finalement parce qu’ils m’ont laissé partir comme ça. Sans rien dire, comme si c’était normal, une petite parenthèse. Pas de honte sur leurs visages. Ils riaient, moi je pleurais et eux ils riaient. Je me suis dit qu’ils ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient mais si, ils en parlaient entre eux, comme si je n’étais pas là, comme si je ne valais pas la peine qu’on me fasse taire. J’étais juste une distraction, un passe-temps. Et une fois leur « affaire » finie, j’étais bonne à jeter. Ils m’ont lancé mes vêtements au visage sans avoir même la décence de tourner les yeux. A quoi bon de toute façon ils n’étaient plus à ça prêt. Ils le connaissaient peut-être mieux que moi ce corps.
Bizarrement les premières minutes, jours qui ont suivi j’ai agi normalement comme si rien n’était arrivé. Mais j’ai l’impression que le fait d’avoir refoulé ça a été stupide parce que c’est revenu avec une violence indescriptible, un coup de poing dans la figure, une claque comme ça d’un coup. Avec cette histoire de tricherie et ces imbéciles qui ont eu le sujet. V m’as dit qu’elle pensait qu’elle pouvait me faire confiance et que je l’avais déçue, qu’elle ne me pensait pas comme ça. Ça m’as fait comme un électrochoc, elle ne me faisait plus confiance alors que moi je l’admirais. Je ne suis pas digne de confiance, je le sais mais l’entendre comme ça de la part d’une personne que j’estimais (et que j’estime toujours d’ailleurs…). En me disant ça c’est comme si elle me comparait à ces deux types, on était pareils : indignes de confiance. Ça m’a rendue malade tout le week-end de savoir que j’avais un point en commun avec eux. Et puis G qui en rajoute une couche le lundi avant le DST « meuf, ce n’est vraiment pas cool ce que t’as fait ». Non ce n’est « pas cool » mais je voulais juste arranger la situation c’est tout. J’ai tendance à prendre toutes les remarques que l’on me fait très à cœur en ce moment. Je guette les moindres critiques et j’y vois des analogies, des comparaisons avec ces deux types.
Ces deux types, je ne connais même pas leurs noms. Je ne me souviens plus distinctement de leurs traits. Ce dont je me rappelle c’est leurs voix et leurs regards. J’ai toujours eu cette alchimie avec les yeux. Je trouve que le regard est la chose qui en révèle le plus sur une personne. Leurs regards étaient terrifiants parce qu’ils ne semblaient pas être concernés par le mal qu’ils me faisaient. J’étais comme une marionnette, des mouvements mécaniques, saccadés, obligée de suivre le rythme alors que j’étais épuisée. Dès que ça ralentissait et que je pensais que c’était fini, l’autre prenait le relai. J’essayais de capter leur regard pour y voir cette compréhension mutuelle, pour qu’ils comprennent combien je souffrais. Mais ils ne virent rien, ils y virent ce qu’ils voulaient y voir, de la soumission passive. Ils étaient physiquement différents mais ils avaient cette même lueur dans le regard, cette envie, je sentais qu’être leur jouet ne suffisait pas, il leur en fallait plus. Après avoir dénudé le corps il leur fallait dénuder l’âme, voir à quel point j’acceptais ce qui m’arrivait. Voir qu’ils avaient réussi à me faire fléchir alors que j’étais en possession de mes moyens mentaux. J’ai peur désormais, peur de revoir ce regard appréciateur, dominateur dans les yeux de quelqu’un et de craquer, de me soumettre, encore une fois. Peur de ne pas avoir la force de refuser, que mon corps soit paralysé.
J’ai l’impression que depuis que c’est arrivé, tout le monde en parle H24. C’est sûrement moi qui fais une fixette sur ce sujet mais le « V- Word » me rend extrêmement mal à l’aise. Je ne me vois pas bien sûr mais j’ai l’impression de me rendre ridicule. Sois je rougis et baisse les yeux en feignant de regarder mon portable, sois je deviens pâle comme un linge et alors je me sens tellement mal que j’ai l’impression que je vais m’évanouir. Je prends tellement sur moi pour ne pas me lever dès qu’il y a une allusion en cours sur ce sujet. Je crois que le pire était pendant le cours de B sur le désir. Le mot a même été prononcé dans un contexte apparemment drôle parce que tous les blaireaux de la classe (oui je suis méchante et ça au moins je l’assume) ont éclaté rire. Leurs rires qui me rappelaient étrangement ceux des deux types. J’ai évidemment bu une longue gorgée d’eau et puis j’ai attendu qu’il dérive un peu de sujet (autrement dit 2 minutes) avant de me lever et d’aller aux toilettes. Les toilettes, le lieu de l’intimité par excellence. Etrangement c’est un des seuls endroits où je me sens en sécurité. Pourtant c’est un espace clos, mais j’y suis seule, je n’ai pas à y craindre un contact humain. Quand l’oppression devient trop forte c’est le seul refuge qu’il me reste. Mais si seulement il n’y avait que ce mal être psychologique. J’ai l’impression que toute l’énergie de mon corps est partie. Je suis si fatiguée, j’ai mal à la tête en permanence. Je refuse de me laisser faire et je veux m’en sortir toute seule mais en même temps : me sortir de quoi ? Tout est terminé maintenant. Qu’est-ce que je peux bien faire dans la mesure où je garde ça pour moi ? Me confier ? C’est déjà fait et je le regrette amèrement. La seule solution viable c’est surement écrire ces mots. J’ai lu que cela pouvait être libérateur mais étrangement je n’ai pas l’impression que cela me fasse grand-chose. Au moins l’ordinateur ne me juge pas. Je suis face à face avec mes mots mes pensées que je n’ai pas le courage d’exprimer tout haut. Mais l’angoisse ne part pas. J’ai l’impression que mon cerveau marche au ralenti désormais.