Les premières tâches rouges, qui font normalement pleurer les filles, furent ma délivrance.
Parler fût surement la chose la plus compliquée pour moi. Je crois n’avoir jamais autant pleuré mais quand on avoue enfin cette chose, le sentiment d’un poids immense, qui nous étouffait, semble partir. A l’instant même où on prononce le mot « souffrance », cette dernière semble s’atténuer. Parfois, il m’arrive de regretter, autant d’en avoir parlé à ma mère et ma sœur ainée, que de ne pas l’avoir dit plus tôt. Peut-être que tout ceci n’aurait pas eu lieu si j’en avais parlé. Malgré tout, je garde parfois à l’idée que c’est de ma faute. Etrange idée, quand on sait qu’à dix ans, tout ce que je voulais c’était la maison en lego qui apparaissait dans le catalogue de jouets.
Quel ne fût pas ma honte quand ma mère a compris qui était le fautif. Le pouvoir de l’âge sur une enfant. Et je dois encore garder le secret, comme une honte inavouable.
Ma famille est grande. Nous sommes bien nombreux. Je me le redis sans cesse que certains étaient en trop, mais cela je le garde bien à moi. Ça parait immoral de le penser. Ma vie a continué normalement, bouleversé juste par l’annonce d’un frère homosexuel, mais rapidement remis à l’ordre. Enfin pour ma part.
C’est à mes quinze ans que je commence à rencontrer des gens sur internet. Et voilà que je tombe sur une fille. Avec elle, tout est si facile, je peux tout lui dire, tout lui raconter, rire, pleurer, chanter… La joie de la retrouver malgré l’unique vision d’une image mobile sur un écran. C’est ainsi qu’un premier « je t’aime » apparait. A ce moment, on croit vivre un amour unique, incroyable. Mais qu’hélas on ne peut pas partager car c’est mal.
Je pensais pouvoir écrire ce que je voulais sur mon journal, sans avoir de soucis, sans me soucier que ma mère le découvre. Sans compter sur cet après-midi où j’ai compris qu’une chose dégoûtante le resterait. Sans me poser de question, j’avais suivit ma mère pour l’aider à retaper un lit. Et là…
« Tu me dégoutes. », « tu veux faire comme ton frère », « n’ose même pas toucher ta petite sœur », « ne me regarde même plus ! », « tu es répugnante ! ».
Je retiens uniquement ça à ce jour. Ces pauvres phrases qui sont bien suffisantes. Quel ne fut pas mon désarroi ? A cette époque, je n’avais pas compris que ce n’était pas de l’amour que j’éprouvais pour cette fille, mais une amitié sincère. Car l’homme me répugnait, me dégoutait. Rien qu’à l’idée qu’un homme puisse me toucher me donnait envie de pleurer, crier, hurler, vomir..., alors que je me sentais sereine et comprise avec une fille.
Chose que ma mère aurait pu comprendre à ce moment. Car elle savait tout du secret, elle le savait et le sait encore. Son regard remplit de dégout sur moi, jamais ne partira de mon esprit. Je me demande pourquoi elle ne m’a pas parlé, pourquoi elle n’a pas essayé de comprendre ? Pourquoi m’a-t-elle lancé tout ça au visage, alors qu’elle aurait pu m’épauler ?
Je me sentais seule enfant, et je me suis sentie seule adolescente.
Tout ça pour arriver aux quinze ans de ma petite sœur. La petite dernière. Celle qu’on chérit encore plus car on sait ce qui l’attend. Après avoir été une enfant tantôt joyeuse tantôt boudeuse, elle est devenue une adolescente qui veut à tout prix se distinguer. Ne surtout pas entrer dans le moule. Etre différente. Je trouve ça bien et courageux, car elle a un sacré caractère. Je la considère encore comme le petit bébé, je l’appelle même « mon petit bébé ».
Il parait que des parents éduquent différemment chaque enfant, même si ils ne le veulent pas ou ne le font pas délibérément. C’est ce que je me dis quand ma petite sœur a avoué son penchant bisexuel. Quelle drôle de famille tout de même. Un fils gay, une fille bisexuelle, et moi qui ait eu un passage compliqué.
Mais pourquoi ma mère n’a-t-elle pas dit la même chose à ma petite sœur ? Pourquoi l’a-t-elle accepté si facilement ? Pourquoi elle et pas moi ? Ai-je droit d’être jalouse pour ça ? De lui en vouloir ? Est-ce que ma mère s’est rendu compte de ses paroles envers moi ? Le regrette-t-elle ? Si c’est le cas pourquoi ne s’est-elle jamais excusée ?
Je me rends juste un peu plus compte qu’à cause du secret, je suis devenue la tache noire de la famille. Si je n'étais pas là, il n’y aurait plus besoin de le cacher, ce secret n’existerait plus. Mais à qui dois-je mon existence ?