Ecrire Vrai

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Louis.

15 octobre 2013 à 22h38

Ce jour là, je rentrais tout juste de ma petite escapade en Bretagne. Je m'étais réfugiée chez Emilie, la belle indienne au sourire de nacre qui était devenue mon amie en colo. Je prenais le train pour redescendre à Toulouse, le ventre noué par les ennuis qui m'y attendaient à coup sûr...Impossible de procrastiner davantage. Je sortais à peine d'un mois en séjour adapté complètement coupé du monde et je retrouvais à tâtons mes habitudes de civile. Ma place était occupée par un couple, et j'optais donc pour celle qui était libre, juste derrière. Et c'est ainsi que je me retrouvais à côté de Louis.

Je déballais le journal que j'avais pris pour me mettre à jour, et découvrais avec une certaine angoisse l'annonce du prochain G-20, qui était loin de sembler décisif pour la Syrie. L'indécision était de mise avec une Europe frileuse et des USA parés de messianisme... Je surlignais consciencieusement ce que je ne comprenais pas, après un mois de coupure totale avec le monde extérieur. Le retour à la civilisation avait quelque chose de surréaliste et la sensation d'embarquer dans deux TGV à la fois me donnait le tournis. « Vous êtes journaliste ? » me demanda Louis, dont j'ignorais encore le nom, levant le nez de son recueil. Je souris en me remémorant une situation analogue à la gare de Carcassonne. J'avais sorti un carnet où j'écrivais quelques phrases à l'envolée. Un homme qui devait avoir à peu près le même âge que Louis m'avait abordé avec la même question. Il s'avérait être lui-même journaliste. Je lui avais laissé mes coordonnées sur un coin de son journal mais il ne m'a jamais recontacté.

« Non ! Je sors d'un mois de réclusion totale ! » Et je lui racontais en deux mots les quatre semaines que j'avais passé dans un bled au Sud de Bayeux, en séjour adapté. Nous étions une quinzaine d'animateurs inexpérimentés pour une quarantaine d'enfants de 8 à 17 ans. Tout le monde me dit « Je n'aurais pas pu ! » et je ne peux malheureusement pas me lancer dans un débat sur le sujet. Il faut le vivre. Si chacun d'entre nous avait su le quart de ce qui nous attendait, aucun ne se serait engagé. Aucun ne s'en serait cru capable. Et nous l'avons fait. Parler d'autisme ou de trisomie me semble relativement inutile. J'ai le souvenir de ces enfants et de leurs prénoms. Matteo, Brian, Gaëtan, Anthony, Benita...J'ai le souvenir de leur personnalité, de ce que nous avons partagé avec eux. Aucun de semblable. Mais tout cela me semblait déjà si lointain, j'étais encore prise dans les brumes tièdes de Bretagne et les photos d'Emilie sur les rochers...Je restais évasive. Ce fut à mon tour de questionner mon voisin. C'est confortable de prendre la place de celui qui écoute. Je m'y suis toujours sentie plus à mon aise. Parfois je suis frustrée de ne pas réussir à partager davantage ma propre vie mais, en l'occurrence, j'avais plutôt envie de me laisser emporter par celle de quelqu'un d'autre. La mienne était trop décousue...pour tout vous dire : je ne savais même pas où elle allait.

Louis avait passé 25 ans dans l'armée. Il avait été une sorte de tireur d'élite auparavant, et c'est ce qui l'avait amené à s'engager. Je sentais en lui le regret de ne pas avoir persévéré dans les championnats. Puis il me raconta qu'il était revenu à une autre de ses passions : écrire. De fil en aiguille il était devenu Ecrivain Public. J'étais très agréablement surprise. Cet homme conciliait les deux orientations que j'avais en tête lorsque j'essayais de m'extirper du trouble dans lequel mon opération du mois de mars m'avait plongé. Je m'étais inscrite comme réserviste chez les paras, et je courrais les maisons de retraite en proposant un atelier d'écriture. Ni l'une ni l'autre n'avait eu le temps d'aboutir mais ces pistes ouvertes continuaient à faire leur chemin dans mon esprit. Et je tombais là, sur un monsieur qui avait vécu les deux. Du côté de l'armée, j'espérais trouver la forme physique et mentale qui me faisait défaut. En ce qui concernait les ateliers d'écriture, je trouvais l'idée de mettre ma plume au service de l'autre plus que stimulante. Donner à l'écriture une dimension altruiste, elle qui n'avait été jusqu'alors qu'intime, personnelle, me remplissait de joie.

Louis me parla de ses expériences et me confia quelques anecdotes édifiantes. Je me régalais littéralement ! Et je sentais mon cœur s'emballer de nouveau pour cette piste d'écriture...Les gens venaient le voir pour écrire...et surtout pour DIRE. Sans rentrer dans la psychologie, Louis faisait du social. Une chose aussi banale qu'une lettre de mutation se chargeait de toutes les interrogations, les doutes, les pressions subies par la personne qui souhaitait ( ou plutôt hésitait à !) écrire. Cette personne venait en réalité poser une question. Elle demandait implicitement conseil à Louis, un inconnu, que le titre d'Ecrivain Public rendait impersonnel, professionnel, rassurant, écoutant. Quel geste profondément humain. La nostalgie de la confesse. Louis était devenu le dépositaire de nombreux secrets. « Une plume, une oreille et un coeur. » Conclus-je en souriant. « C'est beau ! » répondit-il. Je lui confiais que le métier d'écrivain public me trottait dans l'esprit depuis un petit moment. « Pour vous donner une idée, un Ecrivain Public à son compte ne gagne pas plus de 700 euros par mois et encore...on n'en vit pas. » Certes. Mais l'idée faisait déjà son bonhomme de chemin, je me voyais animatrice à temps partiel et écrivain pour le reste. Il allait falloir que je m'y mette sérieusement. « Vous avez de l'imagination, c'est déjà bien. ». Je lui expliquais que j'avais un parcours assez décousu, que j'avais du mal à m'investir pleinement quelque part. Et nous bifurquâmes tout naturellement vers ses propres filles. L'une d'elle me ressemblait pas mal dans le sens où elle avait toujours tout réussi sans efforts et qu'elle ne se satisfaisait jamais de rien. L'autre s'était toujours donnée au maximum, procédant par étapes, et elle visait haut. La cigale et la fourmis en somme. J'ai toujours profondément admiré les fourmis. Je suis si profondément désorganisée...

Louis me laissa en me tutoyant, et je lui demandais sa carte de visite en espérant bien, cette fois, avoir des nouvelles.