Tu veux que je te dise ? Ça fait des mois que je n'ai plus rien ressenti, tu sais, ce sentiment d'être vivante. Sauf peut-être épisodiquement. Et ensuite j'ai oublié. Si je ne l'ai pas écrit, je l'ai oublié.
J'ai cette impression d'avoir perdu quelque chose. Depuis longtemps. Sans arriver à mettre le doigt dessus. Jusqu'à ce que je réalise que je me suis perdue moi-même. L'ancienne Moi me manque. Celle qui pouvait ressentir. J'ai envie de croire que je vais en sortir. Que j'avance sur le chemin de la sortie. Et qu'un jour, il sera là : ce sentiment que je pensais avoir oublié. Ce ressenti qui m'emplira les tripes.
Parfois, je déteste le contact physique. Faire la bise. Parfois, ça me débecte.
Parfois, je n'arrive plus à soutenir le contact visuel. Moi qui me démarque d'habitude par la franchise de mon regard, ce regard qui en son temps, a été le déclencheur d'au moins deux relations amoureuses et charnelles.
Parfois, je ne reconnais plus ce qu'il y a autour de moi. Mes collègues, le lieu, moi-même.
Parfois, un peu trop souvent même, j'ai des pertes de mémoire partielles, j'oublie le frisson d'une caresse, 30 minutes d'étreintes disparaissent.
Parfois, je suis soudain enveloppée d'une immense tristesse, et je ne sais même pas pourquoi.
Parfois, je continue d'avoir une violente douleur de compassion à un niveau injustifié. Souvenir de mon hyper-sensibilité dans ce monde p't'être pas taillé pour moi. Je lutte pour repousser ces idées : j'y arrive, à présent. Au début, ça me détruisait en crises d'angoisse monstrueuses -et je pèse mes mots.
Parfois, me lever est un combat. Et parfois, je n'arrive pas à me lever. Un quintal m'assomme, et c'est tout bonnement impossible, je ne peux physiquement pas, ça m'en foutrait les larmes aux yeux.
Le sommeil est devenu la clé de voûte de ma vie. Quand je dors, je n'existe pas. Rien ne peut me bousculer. Mes rêves, devenus si forts, sont bien plus intéressants que ma vie. Et tu sais quoi ? Parfois même, j'y ressens des choses. Mais surtout, dormir, c'est comme presser la touche "avance rapide". Je gagne quelques heures dans la monotonie incroyablement vide de mon quotidien. Dormir est devenu mon réconfort. Pourquoi, merde, pourquoi m'empêchaient-ils de dormir l'été dernier, lorsque j'étais détruite, lorsque j'étais au plus profond de la détresse ? Pourquoi me réveillaient-ils pour me tirer de ce qui était mon seul répit, lorsque mes journées n'étaient que souffrance, douleur et peur brute ? Déjà qu'aujourd'hui, le sommeil est primordial avec des journées d'insensibilité complète...
Le dodo est le meilleur moment de ma journée.
Je ne suis pas paresseuse. Arrêtez de penser que je devrais me bouger les fesses. On ne dit pas à un asthmatique "ben respire ?!". On ne dit pas à un grippé "arrête d'avoir de la fièvre". On ne dit pas à un cancéreux qu'il n'a qu'à se bouger un peu pour aller mieux.
Ma force, dans tout ça, c'est que je ne me déteste pas. Jusqu'à présent, je réussis à être mon alliée. C'est un travail sur moi-même que j'avais déjà commencé avant "la cassure". Avant la cassure, le soir en me couchant, ou en fin de journée en rentrant, parfois je pleurais, je pleurais toutes les larmes de mon corps. Un truc débordant, trop gros pour moi, et sans forcément d'explication. Maintenant, limite je pourrais juste m'assoir et contempler le mur. Je ne pense à rien. Et le pire, c'est que je m'y suis habituée. Moi dont la tête fourmillait de pensées. Ce fourmillement, je l'ai perdu depuis la fin du lycée, je crois. Me souviens qu'il me manquait déjà à un certain stade de la prépa.
Cette dépression était latente depuis longtemps, oui. L'an dernier, j'avais plein de signes avant-coureurs. Des signes que j'arrivais au bout du rouleau. J'avais juste fini par me dire, "hé, on a le droit de ne pas toujours aller bien". (Ce en quoi je n'avais pas tort)
Et cette hyper-empathie destructrice...Je ne m'en étais pas rendue compte. C'était moi, c'était mon identité, ma façon de penser. J'y tiens, à mon empathie. Elle m'aide à comprendre les autres. Je ne veux pas être égoïste.
Même si je dois penser à prendre soin de moi, maintenant.
J'ai cette trouille de l'abandon.
Peur d'être abandonnée. Conviction que je serai abandonnée. Encore.
Je ne sais pas comment le formuler, mais cette peur de l'abandon joue un grand rôle là-dedans.
Je ne m'abandonnerai pas. A moi-même : tu me le promets, hein, dis ?
Athazagoraphobie, je crois que c'est le mot.
Ça peut réduire à néant ma confiance en moi en carton, d'un souffle, et me donner envie de me retrancher jusqu'à ce qu'on me réapprivoise comme un petit animal effarouché.
Par contre, je me sens inutile. Et sans valeur ajoutée. Vu que je n'accomplis rien.
Bordel, le monde s'obstine à voir la dépression comme un coup de tristesse.
"Mais pourtant, qu'est-ce qui ne va pas dans ta vie, tu as tout pour toi ?"... Tu dirais à un asthmatique "mais pourtant il y a plein d'air, pourquoi tu ne respires pas ?"
Je l'ai entendue celle-là, du ton bienveillant de celui qui pense tout savoir et détenir la solution : "Arrête de te prendre la tête, sois heureuse, tout simplement, faut profiter de la vie !" Ouais, merci, ça m'aide. Sans déconner. C'est aussi approprié que de dire en souriant à quelqu'un qui vient de se faire poignarder "arrête de saigner !". Comme si pouf ! Magie, il allait instantanément aller mieux. Tu crois que je n'ai pas essayé, encore et encore ? Tu crois que je n'ai pas profondément envie d'aller mieux ? Tu crois sincèrement que je me complais dans cet état ? Aller mieux. J'y avais pas pensé. Mais pauvre innocent, j'y pense chaque jour, j'y pense en permanence.
Chimique. C'est un déséquilibre chimique dans mon cerveau. Je ne l'ai pas plus choisi qu'un diabétique choisit d'être diabétique. C'est une maladie. C'est une vraie maladie. Une maladie contre laquelle il faut se battre, mais c'est pas facile, merde, c'est pas facile, parce que c'est le cerveau. Et le cerveau te renvoie une image distordue de la réalité. Combattre la dépression, c'est comme être en guerre contre un ennemi dont la stratégie est de te faire croire qu'il n'y a pas de guerre.
La fatigue est là. Partout. Tout le temps.
La fatigue physique, alors je ne bouge que peu ; la fatigue mentale et psychologique, alors je ne pense plus. J'ai éteint mon cerveau depuis si longtemps que je ne sais plus l'activer.
Le déclencheur a été la fatigue de tout ce que j'avais accumulé. Trop accumulé. M'étais trop battue. Trop encaissé. Pourquoi être dépressif est-il vu comme une marque de faiblesse à la fin... Chimique. Chimique. Maladie. Maladie.
Le résultat est cette fatigue. Tout le temps. Du lever au coucher. Surtout quand je ne fais rien.
Mais surtout, la fatigue d'être fatiguée.
Je sais, ça gave le monde, si je parle de ça. Je n'en veux à personne de ne pas comprendre. C'est très difficile à comprendre, une maladie invisible, tant que tu ne l'as pas vécue. Et puis comment pourrais-je t'aider à comprendre quand moi-même je n'arrive pas à mettre les mots dessus ? Même face à mon thérapeute, je n'arrive pas à dire ce qui cloche. Je ne sais plus vraiment comment c'était avant. Quant était "avant". Et si "avant" a vraiment existé. J'en viens à douter d'être allée bien.
Bien sûr que vous ne pouvez pas tenir compte du fait que mener une journée complète est déjà un travail à plein temps. Vous ne le savez pas. Je dois aller bien sinon j'suis lourde. Je suis censée répondre que Oui ça va et toi. C'est ce que je fais, avec le sourire en plus. Tu les as vus mes beaux sourires ? Je ne sais pas si je vais mieux, mais en tout cas, je simule bien mieux la normalité ! Mais qu'est-ce que j'aimerais que quelqu'un, n'importe qui, me regarde dans les yeux, puis me dise qu'il/elle sait que non, ça ne va pas exactement. Ou que quelqu'un me propose "randomly" un câlin. Juste ça. Un peu de répit. Un peu de lâcher prise.
Me sentir moins seule. La dépression, c'est aussi et surtout cette profonde solitude : t'es seul avec ton fardeau sur les épaules, et t'essaies tant bien que mal de donner le change. Heureusement que je connais quelques personnes qui ont vécu ça. Je me retranche, je coupe les ponts. Mais au fond de moi, je sais que je ne suis pas seule à connaître cette maladie. On est des milliers, des millions. Ce n'est pas une maladie rare. Mais je me sens si seule au quotidien. Je ne ressens plus de liens avec quiconque. Rapport à l'insensibilité, aussi.
Me sens seule et isolée. Et j'y suis pour beaucoup. Je me suis isolée et je continue, un peu. J'suis mauvaise en relations sociales. Alors si en plus, tout ce que j'ai à dire c'est que la dépression régit ma vie...
J'veux me montrer forte, et pourtant j'en veux au monde de ne pas remarquer que j'suis toute craquelée. J'ai des rancoeurs enfouies très, très, très profondément, envers le passé.
En parallèle, je me sens incroyablement détachée de tout. Mais je me souviens que ce n'est pas normal. Surtout pour moi.
Tu ne peux pas forcément m'aider. Et je ne te demande pas de me sauver. Mais tu peux rester à mes côtés pendant que je me sauve. Ça prendra du temps, sache-le. Ça fait déjà 1 an que je me suis effondrée. Mais je continue d'avoir envie de m'en sortir. La vieille moi me manque, celle qui ressentait les choses. J'ai perdu ma personnalité, j'me suis perdue dans moi-même cette nuit-là, mais je souhaite vraiment me retrouver -malgré la peur de retrouver ce qui n'allait pas : anxiété, timidité, mésestime de soi et compagnie. Je n'ai pas encore baissé les bras, d'accord ?
Juste, toute seule, c'est pas facile. J'ai mes médocs, mais ça ne fait pas tout.
Tu peux me proposer un câlin.
Tu peux me dire que tu sais que ce n'est pas facile, que je ne suis pas paresseuse, que je ne suis pas faible, que je me bats durement, que mes états d'âme sont valides et mes luttes importantes. Que tu sais que même si tout à l'air normal, les choses que tout le monde effectue aisément sont plus difficiles pour moi. Elles le sont vraiment.
Tu peux me rappeler que je compte.
Tu peux me dire que tu m'aimes ou m'apprécies.
Tu peux me signifier que tu es là.
Tu peux m'aider à me souvenir que la dépression est une sale menteuse, et que la vie brillera de nouveau, promis.
Et rien que ça, ce sera déjà un énorme soutien.
Tu penseras que je pourrais me bouger un peu les fesses, quand même. Parce que ça ne se voit pas forcément, que j'essaie. Que je n'y arrive pas.
Tu auras envie de me donner un coup de pied au cul, parce que ça prend du temps de me relever.
Tu te demanderas si je ne joue pas un peu la drama-queen, si je n'en fais pas un peu trop, à me rendre malade pour des chichis. A considérer comme une victoire le simple fait d'être sortie de chez moi aujourd'hui. Oui, y a des fois où ça te saoulera.
Mais n'oublie pas... Je suis la même qu'avant que tu ne saches. C'est ma maladie invisible, pas un choix, d'accord ?