La porte vient de claquer. Je me retrouve seule, enfin...
J'ai attendu ce moment toute la journée. Ce moment où je serais enfin face à moi-même, ce moment où je pourrais enfin écrire. J'ai rédigé dans ma tête les phrases que je poserais sur ce journal, inlassablement. C'était le seul moyen de me calmer, de ne pas craquer, ne pas sortir de cours sans prévenir, ne pas sécher sur un coup de tête. Cette journée a été dure.
Ca a commencé par la fatigue. Je fatigue toujours vers cette période de l'année. Il y a un an ça c'était traduit par des crises d'angoisses à répétition. Aujourd'hui, je n'en étais pas loin. Puis un exposé. Pas quelque chose de bien stressant en soi, sauf lorsque la camarade censée rédigée une partie entière et imprimer le tout ne donne aucunes nouvelles et ne se pointe pas au cours. J'ai dû le faire quand même cet oral, sans elle, incomplet. Elle s'est pointée comme une fleur l'après-midi... et je n'ai rien dit.
Je ne dis jamais rien de toute façon. Je ne dis plus rien. Je n'ai jamais été rancunière, je dirais même que je peux faire preuve de trop d'indulgence.
J'étais énervée pourtant. Tatoué l'a bien senti dans mes SMS, il m'a proposé de venir me chercher au lycée et de m'écouter autour d'une clope et d'un chocolat chaud. J'ai refusé car ma grand mère venait manger le soir même pour son anniversaire, alors à la place il va m'appeler, dès que j'en aurais fini ici. Je dois appeler Alex aussi, d'ailleurs. Moi qui ne suit pas bavarde au téléphone, me voilà servie.
Bref, on a fêté les 82 ans de ma grand-mère. Et c'était triste à en pleurer.
Je n'ai même plus la force de répondre aux sous-entendus de mon père à mon égard. Je n'arrive même plus en rire, sourire, ou même à esquisser la moindre réaction. Je ne dis plus rien, les mots me glissent dessus et je reste de marbre. Et je sens bien son regard qui me pèse dessus tandis que j'ignore superbement l'ironie à laquelle je suis sujette. Il pense que c'est la fatigue, mais si ce n'était que ça...
Le fait est que je n'aime pas ma famille. Et en disant ça je pèse mes mots. Je ne dis pas que je ne les aime pas, bien que je sois assez indifférente envers certains. La meilleure explication serait celle que j'ai eu avec ma mère il y a de cela un peu plus d'un mois. Elle m'avait reprochée d'être égocentrique, égoïste, de ne pas penser aux autres, de ne pas montrer mon affection. Elle me considère comme une étrangère à la famille. Elle, ma propre mère, ne sait pas qui je suis, ce que je pense ni ce que je ressens. Elle ne comprend pas pourquoi je ne leur montre pas d'affection, si tant est que j'en ai.
Elle, ma propre mère, en est au point de douter que je puisse l'aimer. Ma mère, chaire de ma chaire, sang de mon sang. Ma mère qui m'a portée, aimé et éduquée de son mieux. Comment pouvait-elle douter de ça ?
Je me suis mise à pleurer. Elle a attendu je ne sais combien de temps, que je me vide, que je sois prête. Prête à parler.
Je ne sais pas combien de temps j'ai mis avant d'être capable d'articuler un mot. Je lui ai tout dit. Pour la première fois, je lui ai dit ce que je pensais vraiment, au plus profond de moi. Je lui ai dit :
Tu dis que je suis étrangère, mais tu n'es pas la seule à avoir cette impression-là. Moi même je me sens à part. Ca a toujours été "la famille à Papa" et "la famille à Maman". Jamais ça n'a été "ma" famille. Ma famille comme une unité, une seule et même chose. Ma famille comme un tout. Il y a d'abord eu les semaines découpées en fonction de chez qui j'étais, puis les Noëls partagés, le réveillon chez Maman le 25 chez Papa.
Du côté de mon père, les repas familiaux étaient simples : étant la plus jeune on me foutait dans une chambre avec un Disney et on me laissait là. Je n'ai jamais eu de réelle conversation avec mon cousin ou ma cousine, je n'ai jamais eu de réel lien avec mon oncle ou ma tante.
Du côté de ma mère, mes cousines sont si généreuses, attentionnées et prévoyantes que ma grand mère n'a que leur prénom à la bouche. J'ai beau faire des efforts et l'appeler, je sais que jamais je ne les égalerai. Les réunions de familles sont tendues parfois, mon oncle nous a même déjà viré de chez lui une fois, j'avais 9 ans.
Mais j'étais jeune pour me soucier de ça. J'étais trop jeune pour qu'on me dise la vérité. Vérité qui m'est tombée dessus dès que j'ai été en mesure de voir, palper les tensions. Dès que j'ai pu comprendre.
J'ai compris que on est tout sauf une famille. Qu'on a juste fait semblant, qu'on essaie de tenir son rôle, de donner une image. On essaie d'y croire. Mais on se crache sur les dos des uns et des autres.
Ainsi le frère de mon père n'est qu'un radin qui ne fou rien, ma cousine est tarée sur les bords, ma grand-mère un poids. D'ailleurs, on n'y va même plus aux repas de familles, mon père refuse. Il m'a dit cash que à la mort de ma grand-mère, plus rien ne nous retiendrait réellement à cette partie de la famille.
Mon oncle est un con macho, ma grand-mère une wanna-be matriarche acariâtre et ma tante une égoïste dépressive.
Ma mère sous-entend sans même s'en rendre compte que mon père est un vieux con, et inversement.
J'ai compris que la seule chose qui créer le lien entre mon père et ma mère, c'est moi. Moi et les frais que je génère. Frais qu'il faut partager équitablement, et dans le cas contraire c'est moi qui subit. Je fais le pigeon voyageur entre les deux.
Mais maintenant je réponds " Je veux pas savoir, tu l'appelles et tu lui dis. "
Alors quand tu me parles de famille, je ne peux pas. Pour ma, je n'ai pas de famille. Que des morceaux, des pièces cassées, un puzzle incomplet.
Mais le pire n'a pas été de me décharger de tout ça. Le pire fut de relever les yeux, et de voir ma mère pleurer.
Le pire fut de la voir passer de la colère à la culpabilité.
Elle m'a prise dans ses bras et elle s'est excusée. Elle s'est excusée de m'avoir fait subir ça, d'avoir été assez égoïste pour décider de me partager avec mon père, de me "déchirer" entre eux deux. Elle s'est excusée que ce choix là m'ai rendue telle que je suis, de m'avoir empêcher d'être celle que j'aurais dû être si ils avaient fait autrement. Elle s'est excusée d'avoir faillit à ce niveau là.
Ce soir là, dans ses bras, j'ai eu l'impression d'être un échec.
Alors que je suis la première à penser qu'ils ont fait du mieux qu'ils pouvaient.
Après tout, je ne pouvais pas les forcer à s'aimer, tous autant qu'ils sont.