Fleurs de papier

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12 Décembre 2005 à 14h57
Le tunnel

Le tunnel

Lundi 12 Décembre 2005 à 14h57

Elle leva la tête juste à temps pour voir disparaître la grande baie vitrée ainsi que la lueur du jour. Sa rétine due s’habituer tranquillement à l’éclairage morne et artificiel. L’escalier la forçait à descendre plus profondément encore vers les entrailles de la terre. Pourquoi celui-ci ne s’arrêtait-il pas ? Pourquoi quelqu’un ne la prenait-elle pas par la main, pour la faire remonter ? Il y avait tant de gens, et pourtant ils ne faisaient rien. Rien du tout. Sauf descendre avec elle. Plus loin. Encore. Une odeur de métal électrifié se fit plus présente. Une odeur bétonnée, asphalté, métallique, terreuse.

Elle du se faire violence pour ne pas remonter les escaliers. Si elle n’y avait pas été forcée, elle ne serait probablement pas là en ce moment.

Maintenant, elle était sous terre. En dessous du ciel, de l’air, des racines, de la vie. Elle marcha en ligne droite, serra les lèvres et baissa la tête au moment de passer le tourniquet. Elle avait l’impression que sa démarche était saccadée, trop peu naturelle. Mais ce n’était pas sa faute. Son sac à dos était beaucoup trop lourd. Et son manteau. Il faisait trop chaud dans son manteau. Pourtant, elle garda les mains dans ses poches. Elle ne voulait pas trembler. Elle ne pouvait pas trembler. En voyant apparaître les rails brillants, elle étouffa un gémissement.

Pourquoi faut-il que je sois seule ? Pourquoi quelqu’un ne m’a-t-il pas accompagné ?

Il semblait que cela faisait partie du processus. Elle croyait qu’elle allait s’effondrer, incapable de faire un pas de plus. Elle scrutait le plafond à la recherche des haut-parleurs qui lui annonceraient que le service était suspendu. Elle souhaita vivement que le métro n’arrive jamais.

Elle arriva sur le quai, et c’est alors que tout se mis à la narguer. Les panneaux publicitaires accrochés aux murs de béton graffités lui lançaient aux yeux des messages aux couleurs éclatantes. Tout cela était ridiculement joyeux et artificiel à côté de ce grand trou béant, duquel on ne pouvait voir le bout. Les gens se fondaient au plancher, aux murs, avec leurs habits gris et sombres, leurs visages inexpressifs et horribles. Ils n’avaient aucun regard pour elle pendant qu’elle ployait sous le poids que semblait prendre son manteau à chaque seconde qui passait. Aucune considération. Personne n’en avait jamais eu.

Elle attendait comme eux. Elle leur criait des choses dans sa tête. Elle voulait qu’ils entendent, mais ils restaient là comme des robots, des machines.

Le son du monstre métallique se fit entendre bien avant que quiconque puisse le voir. L’air s’agitait et fit bouger des mèches noires autour de son visage pâle et cerné. Elle voulu pleurer, tomber, partir, crier, s’évanouir. En une fraction de seconde, elle se vit, en train se s’élancer devant le monstre qui la happerait. Mais cela ne se passa pas.

Il s’était immobilisé, et les multiples bouches du monstre s’étaient ouvertes, toutes grandes. Les gens se poussaient pour y pénétrer. Ils étaient si stupides… Pourquoi fallait-il qu’elle y entre, elle aussi ? Elle avait envie de vomir, mais elle passa tout de même les portes qui se refermèrent avec violence derrière son dos. Tout ce qu’elle vit fut ce banc. Elle s’y dirigea sans regarder ailleurs, pour ne pas tomber par terre. Ses jambes n’en pouvaient plus. Elle déposa son sac à ses pieds, avec soulagement. Pourtant, la sensation ne dura pas. Il semblait que des petits animaux sauvages habitaient son corps et sa tête. Ils grouillaient sans cesse et elle aurait voulu les faire taire. Elle cria encore mentalement pour éloigner la vague de panique qui la submergeait tranquillement.

Tout se mit alors à grincer, à bouger, et c’était sûrement le cri horrible du monstre. Sa gorge se serrait à mesure que le tunnel défilait, et elle cru qu’elle allait s’étouffer bien avant de réussir.

Elle se décida à ouvrir les yeux, parce qu’il le fallait bien. Son regard fit le tour du wagon aux dimensions restreintes. Toujours cette foule angoissante, serrée, opaque, qui semblait la pousser contre la vitre, l’écraser au fond de son banc. Son t-shirt était maintenant mouillé sous son manteau. Il fallait qu’elle sorte. Tout de suite.

Au moment même où elle allait se lever, elle remarqua la fillette. Elle était assise devant elle, sa petite main dans celle de son père. C’est alors que l’enfant plongea ses yeux turquoise dans ses yeux à ELLE. C’était un regard électrifiant, glacé, improbable et fort. C’était des flèches, des feux, c’était le monde entier qui se tenait devant elle. Un regard franc qui ne se détourna pas et qui durait. Les sons s’estompèrent, et rien d’autre n’exista à ce moment même.

Cette enfant savait. Rien n’était plus clair et limpide. Elle savait.

À cette seconde précise, elle su qu’elle ne pouvait plus reculer. C’était un signe. Définitivement. Le regard durait toujours, et la fillette lui donna plus de courage encore. Le voyage se terminerait bientôt. Où simplement commencerait-il. C’était sans importance. Son but allait être atteint.

Quand elle ferma ses yeux, elle se mit à sourire. Elle attendit quelques secondes, afin de savourer le moment.

Enfin, elle appuya sur le détonateur de la bombe.