Drôle d'oiseau !?

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La Grande Maison

26 novembre 2008 à 13h21

La maison de mon enfance était de celles qui rendent jalouses les grandes personnes, mais elle était et restera toujours pour moi et ma famille : "La Grande Maison".


Aujourd'hui, maintenant, c'est moi qui suis "grande" et dans mon lit de "grande personne", de "femme mariée" et de "maman", ces trois mots résonnent encore pour moi de tous les échos de mon enfance.

Derrière ses portes closes à jamais, derrière ses quatre murs immenses et invisibles dorment les fantômes de ma famille, à tout jamais.

A ceux qui marchent sur la terrasse circulaire et séculaire, prenez garde de ne pas vous cogner contre le métal d'un vélo, celui d'un patin à roulettes...

A ceux qui marchent sur les tommettes rouge sang du grand salon ou de la grande salle à manger, attention de ne pas tomber au travers d'un sol retourné, dans la cave de nos jouets...

A ceux qui traversent les murs ou le foyer des cheminées, n'oubliez pas qu'ici le feu n'a pas brûlé que dans les âtres...

A ceux qui sautent d'arbre en arbre, accrochés à une tyrolienne, n'oubliez pas qu'entre le grand pin et le gros chêne centenaires, il y avait une grande maison, notre maison.

A vous qui passez vos dimanches et vos samedi après-midi à vous promener nonchalamment, vous piétinez allègrement la terre d'une vieille famille.

Le grand massif et les lilas, les iris mauves, jaunes ou bleus... c'est mon père qui les a plantés et mon grand-père...

La grande terrasse de gravier blanc et les allées de ce jardin à la française, nous les avons tant ratissées que nos petites mains d'enfants étaient souvent meurtries d'ampoules...

Si un jour vous vous assaillez sur le banc taillé dans la pierre de la clôture du jardin, ayez une pensée pour moi, pour ces chagrins que je noyais dans l'eau trouble de l'Etang de Berre, pour ces larmes que je séchais aux feux chimiques des torchères de La Mède.

Et puis, revenez en arrière, tournez votre regard au Nord, vers là où souffle le mistral. Peut-être, dans la lumière du soir, dans l'or des heures de fin du jour, dans les secondes crépusculaires, comme on peut voir le "rayon vert"... vous apercevrez la maison, la Grande Maison...

Vous la verrez en face de vous, à sa place au bout du jardin, juste après la grande terrasse de graviers blancs, avec à sa gauche le grand pin et le bassin et sa cascade et à sa droite le gros chêne et la tour rose.

Vous la verrez, immense et droite avec ses grands piliers carrés et blancs, comme une maison coloniale, ses hauts volets verts à persiennes, d'un vert profond, un peu passé, le vert des chênes.

Vous la verrez et vous entendrez les cigales, assourdissantes dans la chaleur étourdissante de l'été.

Vous lèverez un peu la tête et vos yeux, tour à tour, de la terrasse du rez de chaussée à celle immense du premier, jusqu'à ce balcon du second.

Celui où un jour de détresse, je m'étais pendue par les mains pour faire peur à mon cousin (celui dont j'étais amoureuse) et à mes soeurs un peu jalouses, un peu sottes ou un peu méchantes, comme sont les enfants à cet âge, surtout les filles !

Celui où je venais souvent pour m'isoler, pour contempler le paysage, plutôt la vue, celle qu'on peut avoir de là haut...

Et puis vos yeux redescendront sur la terrasse du premier, celle de la liberté. Celle où l'on se faisait bronzer nues, celle où l'on avait pris une douche mémorable, inoubliable, un soir d'été, d'orage d'été... Un soir, ou plutôt une nuit où l'eau du ciel tomba si fort en trombe et où il avait fait si chaud auparavant que nous étions tous sortis en même temps pour nous jeter sous cette pluie, battante et ré-énergisante, sous ce cadeau de la nature, ce don du ciel !

Vous qui passez sur nos chemins, sur nos traces, celles de nos chevaux... vous foulez aux pieds notre terre et notre histoire.

Celle d'une famille mal aimée et sacrifiée. Celle d'une famille, écrasée par le destin et la mal chance. Celle d'une famille réduite en cendres, par une après-midi d'été où le mistral était le roi, où une étincelle malheureuse, venue d'une boite d'allumettes a transformé un feu de paille en incendie, sous les yeux éteins des pompiers...

Je ne pourrai jamais oublier.

Nous étions là, mon père et moi, nous étions là, juste au dessus sur la colline, juste au dessus des étangs... là où la garrigue remplace les herbes sèches et les ajoncs, à la frontière du possible, de l'impossible, là où le rêve se termine, où la réalité commence, là où l'enfance s'arrête, l'innocence et l'insouciance... Là où ma vie a commencé, celle de demain, celle d'aujourd'hui.