Mémoires mortes
Juin 2007, sur un vol à destination de la Martinique
La voix mielleuse de l'hôtesse de l’air dans l’interphone fit sursauter Mark. Il venait de passer les 8h de vol à dormir contre le hublot, marquant sa joue d’une ridicule trace caractéristique, qui s’ajoutait à celle de l’oreiller : « Veuillez attachez vos ceintures, nous allons atterrir d’ici quelques minutes à la Martinique, où la température extérieure est de 28° ».
« 28 degré tu te rends compte ?! », lui lance en souriant une belle jeune femme assise à ses côtés. Il s’agit de Marion, sa fiancée depuis maintenant 4 ans, grande blonde svelte aux yeux noisette, allant sur la trentaine. Mark ne peut s’empêcher de l’admirer. A à peine 30 ans, tout lui réussi. Elle travaille dans l’un des plus prestigieux cabinets d’avocats spécialistes de la propriété intellectuelle de la capitale. C’est une femme assurée, émancipée, débordant de confiance en elle. Mark l’aime tellement… Il lui lance un regard interrogateur. Elle ne peut s’empêcher de rire devant son allure. Il adore l’entendre rire, ce rire… Son rire. Il fait mine d’être vexé, prenant son air de circonstance avant d’éclater de rire à son tour, réveillant la grand-mère d'à côté qui leur lance un regard grincheux.
En sortant de l’avion, l’atmosphère est étouffante, l’air humide, Mark a l’impression de recevoir un coup de massue sur la tête. Il se sent un peu nauséeux, il a toujours mal supporté la chaleur et est sujet à des migraines. Marion lui adresse un petit sourire compatissant. Une passagère l’observe d’un air aguicheur, il faut dire que du haut de ses 35 ans, c’est un homme très séduisant, le genre d’homme qui plait naturellement aux femmes, avec son allure débraillée, ses cheveux bruns en bataille, son regard bleu. Marion lui lance un regard dédaigneux en embrassant son Mark, tout en prenant bien soin de rendre le plus visible possible sa bague de fiançailles. L’intruse finit par leur tourner le dos. Le hall de l’aéroport est étonnamment calme ; un homme en costume patiente, brandissant une pancarte « Splendia ». Marion tire Mark par la manche : « Viens c’est par ici ! ». L’instant d’après, ils se retrouvent dans un bus, direction leur luxueux hôtel. Pendant tout le voyage Mark observe le paysage, l’air pensif…
Décembre 2006, cabinet du Dr Herköpf
« Je suis désolée Monsieur… ». Mark semble exténué… Les larmes lui piquent les yeux, mais il refuse de pleurer, non, pas devant elle, pas devant Marion. Cette dernière est en larmes, elle sanglote dans le cou de Mark tout en serrant très fort ses mains entre les siennes. Il doit redoubler d’efforts pour ne pas craquer.
« Vous voulez dire que je suis malade ? », lui lance Mark d’une voix brisée.
Le docteur se redresse sur son fauteuil, l’air important, la lumière se reflétant sur son crâne dégarni « Vous avez un Alzheimer précoce. Je pense que les symptômes ont déjà dû se déclarer depuis un moment, ce qui explique vos pertes de mémoire et influe sur vos capacités mentales, provoquant migraines et pertes d'inspiration. »
Mark est écrivain ; il ne l’a pas toujours été. Avant ça il a vécu son rêve, celui de journaliste-reporter, menant une existence de globe trotter des années durant, parcourant le monde en solitaire. A présent il a envie de figer sur papier les vestiges de ces temps lointains. Il n’aime pas parler de sa famille ni de son passé ; lorsqu’il essaie, ses souvenirs se brouillent, et cela blesse son égo : il faut qu’il se rende à l’évidence : il est malade. Et aujourd’hui, tout s’explique enfin, de façon claire, brutale, dramatique.
« Que dois-je faire ? » lance-t-il d’une voix de petit garçon apeuré.
Marion réprime un sanglot. C’est la première fois qu'elle le voit dans cet état, si perdu ; les évènements la dépassent.
Le médecin semble gêné par la question « Et bien… Je pense que vous devriez partir en vacances, pour vous ressourcer… Peut-être que cela sera une révélation pour vous, et j’ai en tête que cela vous aidera à retrouver l’inspiration ».
Mark a toujours voulu partir aux Antilles, sans doute l’influence inconsciente de ses nombreuses lectures sur l’exotisme ; c’est ainsi qu’il fut séduit par le décor de rêve de cet hôtel de luxe fraîchement ouvert. Et puis après tout, un peu de vacances en compagnie de sa fiancée ne pourra que faire du bien à son couple. C’est ainsi…
Martinique, juin 2007
… qu’ils arrivèrent au fameux hôtel.
« Vive la publicité mensongère » lance Mark, visiblement déçu. Le Splendia n’est en réalité pas si splendide que cela : un cadre de rêve, certes, mais des bâtiments dans un état douteux, et une piscine au teint verdâtre. Un employé en uniforme de service beige et blanc vient à leur rencontre « Bienvenue dans notre hôtel !» ; Son ton enjoué crispe Mark au plus haut point, lui qui est si discret et qui aime tant la tranquillité… Ils arrivent à leur petite paillote et l’employé les y anbandonne. De là où ils sont, ils ont une vue imprenable sur la mer ; c’est grandiose. Mark serre très fort sa fiancée dans ses bras, et lui murmure à l’oreille : « Je t’aime très fort toi tu sais… ». Après s’être installés dans leur appartement qui n’est en fin de compte pas si inconfortable que cela, on les informe que c’est l’heure du dîner.
Le repas se déroule dans une grande salle, au centre de l’hôtel. Mark n’aime pas les dîners en commun et se demande pourquoi il est venu dans un club de vacances, plutôt que dans un cadre plus intime. Il a une migraine épouvantable, sans doute due à la chaleur. Un serveur vient à leur rencontre pour les mener à leurs places. Tandis qu’ils évoluent entre les tables, c'est là qu'il l'a voit… Non, il veut d’abord ne pas y croire, ce ne peut être elle… Non, elle n’aurait jamais choisi cet hôtel, son hôtel, c’était son idée à lui, que faisait-elle ici ? Ses pensées s’entremêlent tandis que le serveur semble les mener droit vers la personne tant redoutée. Arrivé à son niveau, l’employé s’arrête « et voici vos places, à côté de cette jeune femme », tout en leur indiquant deux fauteuils vides. Elle n’a pas changée depuis ces 13 années. Elle a préservé ce regard glacial, hypnotisant, camouflé en partie par de longues boucles brunes : elle est toujours aussi magnifique, toujours aussi terrifiante. Mark se sent glacé de l’intérieur et doit résister pour ne pas s’évanouir ; il est terrorisé, l’angoisse lui broie les jambes. Il la pensait hors d’état de nuire, néanmoins il ne peut rien laisser paraître, pas devant Marion en tout cas. Il respire à fond, des goutes de sueur perlent sur ses tempes, il sent la peur. La jeune femme fixe Mark comme si elle aussi vient de croiser son pire cauchemar au détour d’un couloir et murmure malgré tout « Antoine, que fais-tu ici ? ». Comme il ne répond pas, elle reprend «Enfin c’est moi… Adèle … tu ne me reconnais pas ?». Sans attendre de réponse, elle se lève de table et part, avant même que le dîner ne commence.
Paris, juin 2003
Mark n’aime pas ce genre de soirées très guindées, mais néanmoins il a du venir sous la quasi obligation de son meilleur ami d’enfance, Paul, fraichement diplômé d’une prestigieuse école de Droit. C’est la soirée de remise des diplômes, le genre de soirées où tout le monde se complimente des heures durant, et où chacun s’écoute parler, ne prêtant aucune attention au discours de l’autre. Tandis qu’il est perdu entre un débat très profond sur le code pénal et une scène de ménage entre avocats, il hésite sérieusement entre prendre un quatrième whisky ou s’enfuir avec la bouteille de vodka. Alors qu’il s’apprêtre à opter pour la seconde solution, il la voit, brandissant fièrement son diplôme, un sourire resplendissant illuminant son beau visage. Il est figé sur place, elle est vraiment très belle. Après tout, cette soirée semble devenir intéressante. A la fin de la cérémonie, il va lui proposer un verre. Il se présente comme étant un écrivain récemment reconverti, ce qui semble plaire à cette femme, qui se prénomme Marion. Elle lui propose ses services si un quelconque malotru venait à plagier son chef d’œuvre. Tous deux se mettent à rire. Elle a un rire renversant ; il sent tout de suite quelque chose se passer entre eux. C’est elle, c’est la fille. Alors que la soirée s’achève, il lui propose de façon quasi inaudible de venir dîner avec lui. Elle rit face à son attitude d’adolescent apeuré. Elle le trouve si mignon avec son allure décalée. Il se confond en excuses pour sa piètre invitation, ce qui attendri Marion, qui accepte.
Martinique, juin 2007
De retour de dîner, Marion bombarde Mark de questions.
"Qui est cette femme ?".
Mark lui sourit, l’embrasse, tout en lui disant qu’elle a du le confondre avec quelqu’un d’autre, qu’il ne connait pas cette « Adèle ». Marion lit le mensonge dans son regard, son métier l’a habituée à voir quand les gens mentent, et là son fiancé est en train de la mener en bateau. Mais surtout elle sent la peur, Mark est terrifié ; cette femme l’a complètement retourné. Il y a quelque chose, mais quoi ?
« Allons dormir mon amour, demain une dure journée de paresse nous attend ! », il l’embrasse, se déshabille, et éteint la lumière. Marion reste immobile, elle n’arrive pas à trouver le sommeil. Un moustique tournoie autour de ses oreilles, ce qui est supportable quelques instants, mais qui devient plutôt horrible passé 30 minutes. Que faire ? Elle se tourne vers Mark qui semble dormir paisiblement, comme un bébé, à son habitude. Elle pouffe de rire en voyant que la couverture est tombée à terre et qu’il se fait dévorer par les moustiques. Ecoutant ses pulsions de mère poule, elle allume la lumière pour mener une chasse sanguinaire aux moustiques. Elle réussit à en tuer deux, avant de se laisser tomber sur le lit, visiblement épuisée par la prouesse qu’elle vient d’accomplir. Elle en profite pour observer Mark. Elle adore le regarder dormir. Lui déteste qu’elle le regarde ; il est gêné et se sent vulnérable. Il a un petit tatouage sur la hanche, elle a toujours détesté les tatouages, mais celui-ci a une signification particulière, Mark se l’est fait faire lors d’un de ses voyages en Afrique. Elle l’observe de plus près, les petits symboles forment des lettres, et ces lettres un mot, qu’elle n’était jamais parvenue à déchiffrer jusqu’à présent. Néanmoins ce soir ce mot lui paru clair comme de l’eau de roche. Il l’a dans la peau… Il a son nom dans sa peau : Adèle.
Marion se couche sur le côté, et se met à pleurer silencieusement.
Avril 1995, Montpellier
« Non Antoine, je ne veux pas partir en Afrique !». Tandis qu’Adèle se met à pleurer, Mark observe la rue par la fenêtre de leur appartement, sans prêter une quelconque attention à ce qu’il voit en contrebas. Voilà six années qu’il a rencontré Adèle, et cela fait deux ans qu’ils se sont mariés. Leur photo de noces orne la cheminée. Mark déteste ça, mais il le fait pour Adèle, il ferait tout pour elle. Il doit effectuer un reportage en Afrique et refuse de la laisser seule 6 mois durant, non ça il s’y refuse, ce serait trop dur… Que faire ? Il la regarde, l’air pensif…
Entre deux sanglots, elle murmure «S’il te plait, ne pars pas Antoine, reste avec moi, je t’aime, tu entends ?! Je t’aime !». Mark la fixe et reste de marbre.
« Je ne peux pas, je pars demain à la première heure… »
Sur ces mots, Adèle entre dans une rage folle. Il va l’abandonner. Non. Il ne peut pas, pas elle. Elle ne peut pas rester seule, pas sans lui. Son travail est donc plus important pour lui qu’elle. Il faut qu’il reste. Elle le fera rester par tous les moyens. A ce moment elle s’empare d’une statue posée sur la cheminée et le frappe brutalement à la tête. Mark s’effondre. Son visage est inondé de sang. Il se redresse et tend la main vers elle « Adèle, non… ». Elle le frappe, le refrappe, jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’un masque de sang. Elle nettoie la statue, la repose sur la cheminée, nettoie le sol, et retourne tricoter, l'air serein.
Martinique, juin 2007
Mark s’étire et se retourne de l’autre côté du lit pour enlacer … un oreiller ? Marion n’est plus là. Il ouvre la baie vitrée et sort sur leur terrasse surplombant la mer. Il manque de tomber. Il a des vertiges, de terribles vertiges. Visiblement la chaleur ne lui réussi pas. Il faut qu’il pense à appeler son docteur. Marion est là, assise, immobile. Mark s’assoit au près d’elle, vacillant légèrement, suffisamment près pour l’entendre murmurer « je sais tout ». Ils restent immobiles sans rien dire de longues minutes durant. Finalement, Mark brise le silence « je ne t’ai rien dit pour te protéger… ». Il frisonne, il a l’air fiévreux. Marion tombe des nues ; c’est donc vrai ! Comment a-t-il pu lui mentir durant toutes ces années ? Elle aurait aimé se lever et partir, mais ses jambes, telles de la guimauve, refusent de lui obéir. Elle n’a pas le choix et doit rester. Mark fixe l’horizon, loin devant, et parle, le regard dans le vide « Elle est folle. C’est une folle. » Marion est abasourdie par ce qu’elle entend. « Je ne voulais pas que tu saches tout cela, mais on dirait bien que mon passé me rattrape. » Marion l’interrompt, furieuse, et lui hurle au visage : « Sur quoi d’autre m’as-tu menti ? », avant d’éclater en sanglots. Mark prend une mine dépitée « Mon amour dès l’instant où je t’ai vu, j’ai su que tu étais la bonne, et si je voulais avoir une chance avec toi, il était mieux que tu ne connaisses pas la vérité. J’ai déjà été marié ». Comme pour ponctuer ce mot, Marion lui assène une violente gifle. Celui-ci bondit et lui saisit le bras avec force «Ne recommence jamais ça ! » hurle-t-il. Marion pousse un cri de surprise ; c’est la première fois qu’il se comporte de la sorte avec elle. Elle qui abhorre tant la violence. Elle se lève et part s’enfermer dans la chambre, en sanglots. Elle entend la porte claquer, Mark vient de partir.
Il erre sur la plage de l’hôtel. Il a mal à la tête ! Son corps est douloureux, il suffoque. Le médecin aurait dû le mettre en garde contre la chaleur. Il se sent si mal. Il a l’impression de perdre la raison. L’air est lourd, étouffant. Au loin il observe un groupe de touristes vêtus en tenue de safari, avec des chapeaux de paille et de grosses lunettes de soleil, qui sirotent un rhum au bord de l’eau. Lui qui a tant voyagé en Afrique ne peut que mépriser ces gens. Des vendeurs tentent de les escroquer, proposant des instruments magiques, que les touristes observent avec précaution, comme s’ils allaient les transformer en grenouilles. Mark s’allonge sur le sable, sa tête le brûle. Il revoit cette nuit, encore et encore. Il revoit son regard glacial, tandis qu’elle lui assène le coup qui lui fait perdre connaissance. Mark se replie sur lui-même en position foetale, et sent les larmes lui monter aux yeux.
Marion en a assez de sangloter dans sa chambre, il faut qu’elle se change les idées. Elle décide d’aller se promener dans le parc de l’hôtel. Elle agit mécaniquement, et marche le regard vide, comme si son petit monde parfait, sa petite idylle venaient de s’effondrer. Rien ne peut lui échapper, non, elle ne peut pas se permettre de perdre le contrôle ; pas elle. Brusquement, au détour d’un virage, elle la voit... Elle fait demi-tour, et presse le pas, mais Adèle la saisit par le bras et lui dit : « attendez ! Je dois vous parler ! ». Elle se tourne vers cette personne indésirable, ayant d’un coup retrouvé toute son assurance : « Qu’est-ce que l’Ex femme de mon fiancé me veut ? » lui crache-t-elle au visage. Adèle semble apeurée, ses mains tremblent « Il vous l’a donc dit… Bon, écoutez, je n’ai pas beaucoup de temps. Il ne faut absolument pas qu’il nous voit ensembles, sinon… » Elle regarde autour d’elle furtivement si personne n’écoute, puis lance : « sinon il me tuera ! ». Marion est assommée par ce dernier mot « Sinon quoi ? » s’exclame-t-elle avec horreur, alors son visage se décompose.
Des pas au loin se rapprochent. Adèle, terrifiée « Non ! C’est lui ! Je dois y aller ! Zut, c’était une mauvaise idée que de vous parler, je vous en supplie ne lui dites rien. Adieu mademoiselle, que Dieu vous protège », et elle s’évapore dans la nature aussi vite qu’elle est arrivée.
« Marion, mon amour, je… » Mark se met à fondre en larmes, tendant à Marion les fleurs fraîchement cueillies qu’il tient dans sa main. « Mon amour, je suis désolé, je suis si nerveux avec ce traitement que je subis. Je déteste cet endroit, j’aurais pu trouver mille fois mieux pour toi. Pardonne-moi ! ». Marion reste de marbre, même si à l’intérieur d’elle-même elle meurt d’envie de le serrer fort contre elle. D’une voix neutre, elle déclare «je veux la vérité… ».
C’est autour d’un bon jus local dégusté au bord de la piscine que Mark se confesse. Il a été marié à cette femme, deux années durant. Un jour, il dû partir pour le travail, il lui demanda de partir avec lui ; elle refusa. Il décida de partir sans elle. Elle ne l’accepta pas. C’est alors qu’elle commença à le harceler. Il la quitta. Elle n’arrêta pas pour autant, et la police dû s'en mêler. Elle reçu une interdiction de l’approcher à moins de 500 mètres, et celui-ci dû changer de nom et de prénom pour devenir Mark SCHUMER. Marion est hypnotisée par ce discours, qu’il poursuit de vive voix « Mais tu ne comprends pas ! C’est une folle furieuse ! Elle a été soignée ».
« Ah bon ? » s’exclame Marion.
« Oui, elle a été internée en hôpital psychiatrique des années durant. Et… il y a autre chose… Mon Dieu Marion pendant des années j’ai essayé d’oublier cette histoire… J’ai vu un psychiatre, cela m’a détruit… J’ai trouvé dans l’écriture une sorte de thérapie. Tu ne comprends donc pas… Elle a… Elle a essayé de me tuer ! J’ai bénéficié de la protection policière ; je suis devenu paranoïaque, je n’avais rien le droit de dire, à personne ! ».
Marion se décompose sur place instantanément « Mon Dieu, Mark… J’ignorais… Et dire que tout à l’heure elle est venue me parler… Mon Dieu, mais ne faudrait-il pas prévenir la police ? »
« Tu as raison, prévenons la police » s’exclame Mark, blanc comme un linge.
Quelques minutes plus tard, deux agents de police frappent à la porte d’Adèle : Pas de réponse. Mark et Marion observent la scène en retrait. Après 10 minutes, toujours pas de réponse. Ils enfoncent la porte. La pièce est vide ; plus aucune trace d’Adèle. Elle est partie. Mark se sent serein, et il repense...
Avril 1995, Montpellier
… A cette fameuse soirée. Les coups. Il repense à tous ces coups qu’elle lui a assénés. Il entend encore les sirènes de la police, les policiers qui enfoncent la porte, l’ambulance, il revoit l’hôpital, il entend encore leurs voix « on le perd ! Vite ! ». Il se remémore ce grand agent de police à son chevet d’hôpital, lui promettant qu'ils allaient le protéger. Il se revoit chez son psychiatre, se bourrant de médicaments et tentant d’oublier cette nuit. Et il se souvient de sa rencontre avec Marion, qui a été une bouée de sauvetage pour lui après son naufrage.
Retour au Splendia
Marion est assise seule au bord de la piscine, Mark est parti leur chercher des cocktails. Elle est déboussolée, elle n’a pas l’habitude que les choses aillent ainsi. Elle aura besoin de temps, de beaucoup de temps pour digérer tout ça. Tandis qu’elle observe un groupe d’enfants, elle se souvient combien Mark n’en veut pas, elle aurait tant aimé en avoir, mais il s’y est toujours opposé, lui rétorquant « Nous ne sommes pas bien juste tous les deux ? ». Il faut vraiment qu’elle parle à Mark.
Après une après-midi fabuleuse, les deux amoureux retournent à leur chambre et dégustent une glace sur leur terrasse. Mark plaisante, bien qu’il se sent toujours mal sous cette chaleur. Prenant son courage à deux mains et tremblant un peu, Marion se lance « Mark, il faut qu’on parle ». Mark lui lance un « Bien sûr », tout en souriant gaiement.
« Non mais je veux dire, sérieusement ». A ces mots, le sourire de Mark s’éteint.
« Que se passe-t-il Marion ? » dit-il de son habituelle voix rauque.
Marion semble gênée et tourne nerveusement son cornet de glace entre ses doigts « Et bien je crois que je vais avoir besoin d’un peu de temps. Je ne t’abandonne pas, rassure-toi, j’ai juste besoin de me préparer psychologiquement, et de faire le point ». A ces mots, l’attitude de Mark change du tout au tout. Il devient blême « tu veux dire que tu me quittes ? ».
« Oui, pour un moment du moins », dit Marion entre deux sanglots. A ce moment, Mark se sent possédé comme….
Montpellier, avril 1995
… cette fameuse nuit où il dit à Adèle qu’il va partir en Afrique et qu’il lui demande de partir avec lui.
Cette nuit où tout a commencé, où le mal est apparu…
Elle est magnifique ce soir-là, comme toujours. Mark est comblé. Il va partir avec elle ! Tout ou presque est planifié. Adèle fait les cent pas dans la pièce faiblement éclairée. Quelque chose cloche.
« Je ne peux pas partir avec toi Antoine ».
La sourire de Mark s’estompe « Mais pourquoi ? ». Adèle paraît gênée mais tout comme Marion elle n’est pas du genre à se laisser faire « Et bien j’ai rencontré quelqu’un d’autre et je souhaite divorcer ». Les yeux de Mark s’emplissent de larmes. Sentant qu’elle a le dessus, Adèle poursuit « Ecoute, tu n’es jamais là et je me sens très seule. Vivien me comprend, tu vois ? Je me sens bien avec lui, je suis désolée ». Mark essuie ses larmes d’un brusque revers de manche, et son regard se noirci. Il se rapproche d’Adèle, la fixant droit dans les yeux.
« Antoine, tu me fais peur… » Dit-elle, apeurée. Son attitude devient craintive. Mark entre dans une rage folle, il l’empoigne par le col et commence à la battre violement. Il la frappe à mains nues, tout en l’insultant « Tu es à moi ! Tu es à moi ! Espèce de trainée ! Tu seras à moi et à moi seul pour toujours ! ». Sa tête heurte le sol avec violence tandis que Mark continue de la rouer de coups. « Tu es à moi… » Dit-il d’une voix sanglotante en se laissant tomber sur le sol, tandis que des voisins enfoncent la porte…
Sainte-Anne, Hôpital psychiatrique de Paris, mai 1995
Mark arpente les couloirs de Sainte-Anne, parlant seul « je suis un écrivain, un grand écrivain ».
Il ne fréquente personne, il n’aime pas les autres patients, ils lui font peur, et ils ne le comprennent pas. Il s’en moque, il est écrivain. Aujourd’hui il a sa visite quotidienne, d’une femme, une vieille femme, qui dit être sa mère ; il ne la reconnait pas mais elle lui apporte des livres. Il aime cette vieille dame.
Le médecin explique à Mme DURSEL que son fils souffre d’un délirium, et que l’on ignore combien de temps cela peut durer. Dans tous les cas, il est fort probable qu’il reste marqué par cette histoire. Il gardera des séquelles, c’est certain, plus ou moins visibles.
Madame DURSEL quitte l’hôpital, en sanglots, serrant une petite photo d’Antoine bébé dans sa main, et ce, comme chaque matin.
Paris, juillet 1999
Mme DURSEL reçoit un appel de l’hôpital où est interné son fils : son état s’est amélioré, il est temps de songer à sa sortie.
Le docteur, un grand homme de la cinquantaine à l’allure de croque-mort lui explique que son fils va mieux, seulement sa mémoire est affectée. Il ne se souviendra plus jamais de l’accident, et il est fort probable que son esprit le réinterprète à sa manière. Les souvenirs d’Antoine ne seront plus crédibles. Un délirium est imprévisible, donc une rechute n’est pas à exclure. Sa tentative de meurtre sur sa femme a fait couler beaucoup d’encre. Afin de faciliter sa réinsertion sociale, il doit changer de nom, et c’est ainsi qu’Antoine DURSEL mourra pour laisser la place à Mark SCHUMER.
« Nous avons raconté à Mark qu’il a été journaliste-reporter durant des années, donc il ne le niera jamais, seulement il n’aura aucun souvenir authentique de ses nombreux voyages, il va devoir s’en inventer. »
A ce moment Mark sort d’un couloir, la mine cadavérique. Il fixe Mme DURSEL de longues secondes durant, et il bafouille « Maman ? C’est toi ? Où étais-tu pendant tout ce temps ? ». Celle-ci fond en larmes.
Martinique, juin 2007
« Tu ne peux pas faire ça ! » Mark tente de réfléchir ; il n’y arrive pas. Satanée migraine. Il se serre la tête entre ses mains. Il a l’impression d’être hors de lui-même. Il n’arrive pas à rester rationnel, à relativiser. Sa tête tourne, il s’accroche à la barrière pour ne pas tomber. Marion s’inquiète : « Mark ? Arrête de faire l’idiot ». Elle est terrorisée mais refuse de le laisser paraître « Mark c’est fini, j’ai l’impression de vivre avec un étranger, au fond je me rends compte que je ne sais rien de toi ! Notre vie ne repose que sur des apparences et des mensonges ! ». Elle reprend sa respiration et lui dis d’une voix brisée « je suis désolée Mark, je ne peux pas, je vais rentrer chez ma mère, d’accord ? ». Il lève les yeux vers elle, des yeux vides, un regard vide. Marion s’écarte, brusquement, mesurant l’ampleur de ce qui se trame. Elle ne le reconnait plus. La chemise de Mark est inondée de sueur. L’espace d’un instant il s’immobilise et semble perdu. Il fixe Marion et lui murmure « Ne reste pas là, fuis », mais sa voix est couverte par le bruit d’un avion. Marion le regarde sans trop comprendre. Mark ferme les yeux, tentant de se calmer, mais il ne peut pas, cette chaleur réveille la bête. Il fait trop chaud, il ne peut pas. Il se redresse, fixe Marion droit dans les yeux, et dit d’une voix rauque « Tu n’iras nulle part ». Il l’attrape. Marion, abasourdie, le frappe. « Tu es comme elle » murmure-t-il. Il ressert son emprise « tu es comme elle ! » hurle-t-il en la frappant au visage. En contrebas de leur balcon se trouve la mer, les rochers, il l’y pousse violement. Son corps heurte la pierre, dans un doux fracas.
Paris, juin 2007
Marion est en réanimation. Mark lui caresse amoureusement les cheveux. Le médecin entre dans la pièce. Mark bondit « Alors Docteur ? ».
« Je ne peux rien dire pour le moment, elle a subi un sacré choc, heureusement que vous étiez là. Vous l’avez sauvée. Elle risque de rester dans le coma encore pour un moment. Mais ne vous en faites pas, nous savons ce que nous faisons » dit-il avant de quitter la pièce. Tandis qu’une infirmière soigne les blessures de Marion, Mark continue de lui caresser les cheveux «Je pourrai passer ma vie à t’admirer ma Douce, tu es si belle ». A ces mots, la grosse infirmière rondouillarde glousse avant de sortir de la pièce. Il observe ses plaies, sa peau tuméfiée.
« Tu m’appartiens pour l’éternité, tu n’aurais pas du me faire ça, ce n’est pas bien ! » lui murmure-t-il à l’oreille, « tu es ma petite poupée maintenant. »
Sainte-Anne, septembre 2007
« Home sweet Home » murmure Mark, tandis que deux gardes l’escortent vers sa nouvelle demeure, mais sa voix est couverte par les sirènes des cinq voitures de police qui l’entourent. Des manifestants se tiennent devant l’hôpital et l’insultent. Ils scandent un slogan qui fait sourire Mark « Oui à la peine de mort, Non aux récidivistes ! Que fait la police ?». Il croise son reflet dans une vitrine, mais ce n’est pas lui qu’il voit, c’est un être démoniaque. Il se met à rire, tandis qu’un homme lui lance une insulte.
A quelques dizaine de km de là, dans le service de réanimation de l’hôpital de Paris, un bip sonore et prolongé retenti dans la chambre d’une certaine Marion, des pas se précipitent, un hurlement retenti, couvrant un instant le signal « Vite ! On la perd ! ».
Mark s’assoit dans le fond de sa cellule et ferme les yeux.