Comment en suis-je arrivée à ne plus l'aimer ? ça ne s'est pas fait du jour au lendemain bien sûr, ça se fait graduellement. On ne s'en rend pas compte tout de suite.
Pendant ces "presque" 5 dernières années, j'ai presque mis ma vie entre parenthèses pour poursuivre un but : avoir un enfant. Je voulais lui donner cet enfant qu'il espérait tant. Je voulais connaître la joie d'un autre amour à donner. Je voulais voir la joie de mes parents devenus grand-parents pour la première fois.
Pendant 5 ans j'ai tout essayé : médicaments, injections et enfin fécondations in vitro. Je ne saurais dire le nombre d'heures écoulées chez le gynécoloque, au centre PMA (Procréation Médicalement Assistée), à la clinique. Je ne saurais dire ces heures pénibles à attendre, à espérer. Je ne saurais dire ces instants difficiles à l'annonce d'un échec supplémentaire, ces instants où j'étais seule avec mes questions, mes doutes, mes idées noires, ma tristesse et mon désespoir. Et pourtant, j'ai toujours retrouvé la force de regarder à nouveau devant moi, vers l'horizon. J'ai toujours trouvé la force de donner ce petit coup de talon qui me faisait remonter à la surface pour continuer à avancer. Cette force, c'est en moi que je l'ai trouvée, en moi seule.
2006, année pénible mais pourtant riche de rencontres. Cette année a été difficile car j'ai repris les armes pour aller au front. Mais je me sentais déjà si affaiblie, si seule à l'aube de mes 30 ans... je savais que quelques coups bas risquaient fort bien de me faire tomber dans un trou noir. Cette année-là, je me suis autorisée à parler, à me faire des amis, à leur laisser voir quelle personne se cachait derrière l'armure. J'ai beaucoup appris de ces échanges. Sur eux, sur moi, sur la vie. Je sais aujourd'hui que sans eux, je ne serais pas mère aujourd'hui. Ils ont été formidables et j'espère qu'un jour, s'ils ont besoin de moi, je pourrai leur rendre la pareille.
Juillet 2006, mon anniversaire, mes 30 ans, une putain de remise en question au passage de ce cap et surtout, une deuxième ponction. Douloureuse aussi bien pour mon moral que pour mon physique. Je l'ai déjà souvent dit : on ne ressort pas indemne d'une telle épreuve.
Quelques jours après la ponction, première implantation (soit la 3e déjà depuis le début de mes essais infructueux). Pour une fois, mon mari m'accompagne. Nouvel échec. Je cherche du réconfort auprès de lui mais sa réaction est toujours là même : ne plus parler de ça, ne plus insister, abandonner, et pour oublier ça, boire un verre. Je me revois encore le regarder dormir dans le fauteuil, sous l'effet de l'alcool et de la fatigue. Je me sentais si seule...
Septembre, deuxième implantation, la quatrième en tout. Arrivés à l'hopital, je m'apprête à descendre de la voiture mais il ne souhaite pas venir avec moi. J'insiste en lui disant que j'ai besoin de lui. Il me répond que sa présence n'est pas nécessaire et que je sais bien qu'il n'aime pas les hopitaux, en plus il fait sûrement chaud là-dedans... je suis donc partie seule. Alors que je traversais les couloirs de cet horrible endroit, je retenais cette boule que j'avais en travers de la gorge, j'essayais de la ravaler, j'essayais de retenir tant bien que mal ces larmes qui coulaient sur mon visage. J'ai même pensé faire demi-tour et ne pas y aller, car à quoi bon ? A quoi bon si je suis seule ? Mais j'ai pris sur moi, comme d'habitude. Dans la salle d'attente, à nouveau cacher mes larmes. Ces dames qui comme moi attendaient leur tour, accompagnées de leur compagnon, de leur mère, d'une amie, d'une soeur peut-être ? Et moi, toute seule avec moi-même... Lorsque je suis rentrée dans la voiture, je le retrouve endormi, comme si de rien n'était. Couteau retourné dans la plaie, ça m'a fait mal. Je n'ai pu me retenir de lui dire "si j'étais venue en train et en bus ou en taxi, ça aurait été pareil !" et lui de me répondre sur un ton agacé "oh, arrête de te plaindre, n'exagère pas hein"...
Deux semaines d'attente. Les plus difficiles. Je pleurais pour un rien. J'avais peur. Peur d'un nouvel échec qui, je le savais pertinemment bien, me plongerais dans un désespoir si profond, voire même une dépression. Mais peur aussi que ça marche cette fois. Parce qu'alors... ? comment cela allait-il se passer ? Il m'a vue pleurer mais ne s'est pas beaucoup tracassé pour ça. Il avait ce regard légèrement moqueur et sa question toute faite qui m'agaçait tant dans ce genre de situation "qu'est-ce que t'as mal ?"
Et puis le jour J. Envie de voir personne. Personne sauf mon ami. A l'époque il m'aimait déjà d'amour mais ne me l'avait pas encore avoué. Il m'a pourtant soutenu jusqu'au bout. C'est grâce à lui que j'ai encore voulu y croire, c'est lui qui m'a aidé à garder la tête hors de l'eau. Il était mon meilleur ami, mon confident mais ignorait tout de ce qui se tramait dans mon coeur. De mon côté je dois avouer que depuis quelques temps déjà j'étais un peu troublée par le fait que je me sentais toujours si bien avec lui, par le fait que nous avions tellement en commun... je crois que sans le savoir j'étais en train de tomber sous son charme.
Ce jour-là il a été génial. Il a beaucoup parlé, m'a fait rire, a presque réussi à me faire oublier cette épée de Damoclès qui était suspendue au-dessus de ma tête. Et à l'approche de l'heure fatidique, il a su me montrer son soutien, sa présence. Cette épaule rassurante sur laquelle je pouvais m'épancher. Je savais que dans le cas d'un échec supplémentaire, lui seul aurait été à la hauteur pour me ramasser. J'ai toujours eu une telle confiance en lui, je pourrais lui confier ma vie s'il le fallait. C'est rare d'avoir la chance de connaître une telle personne.
Le téléphone sonne. Cette fois c'est une bonne nouvelle que l'on m'annonce. Je suis "sur le cul". Je suis sonnée. Perdue. Heureuse et perdue à la fois. Perdue parce que je n'aurais jamais cru cela possible un jour. J'y suis enfin arrivée, me voilà catapultée au bout de cette route qui me semblait encore si longue et impossible à parcourir. Me voilà à l'aube d'une nouvelle vie... qui me fait peur. Peur de cette inconnue. Serais-je une bonne mère ? et puis le reste...
Rentrer à la maison et pleurer de joie en annonçant la bonne nouvelle à mon mari. Il est heureux. Pendant quelques temps je le retrouve amoureux et attentionné. Mais bien vite j'ai commencé à réaliser. Une brêche s'était faite et la moindre petite secousse n'a fait que l'agrandir. A présent ce n'est plus une brêche, c'est un fossé, un cratère. Lui à l'heure actuelle semble heureux, il n'a pas l'air de remarquer qu'il y a un sérieux problème entre nous.
L'autre jour j'ai vu une émission "confessions intimes". Un rugbyman français était présent pour je ne sais quelles raisons, mais apparemment il a souffert. Il disait que ce n'est que lorsque l'on souffre que l'on se remet en question. En l'écoutant parler, je n'ai fait que l'approuver. C'est vrai. C'est ce qui m'est arrivé. Je me suis remise en questions et je le fais encore. Je souffre encore en dedans de moi. Moins certes, car un adorable petit être a débarqué dans ma vie et dans mon coeur. Mais je souffre de cette situation. Elle ne pourra pas durer éternellement. Il va falloir que cela explose, que je laisse cette colère jaillir en-dehors de moi, quitte à le faire souffrir. Pour une fois ne plus le ménager, pour une fois lui faire partager cette douleur. Si c'est vrai qu'il porte le pantalon, je n'ai pas à porter le fardeau toute seule.
Avez-vous déjà ressenti cette impression d'être "spectateur" de votre propre vie ? Des choses se passent, voulues parfois mais la plupart du temps vous ne pouvez rien faire, vous êtes impuissants, vous ne pouvez que regarder, subir, constater. Moi, cela fait des mois que j'ai cette impression. Mais j'avoue qu'à présent, j'aimerais beaucoup pouvoir en être "actrice".