« Je me sens si seule… Si envahie… Ah! J’hurle intérieurement, j’en tremble tant la douleur est palpable. Mes yeux se ternissent subitement en un marbre lourd et gris. Je tente de bouger mes doigts devenus pierre. Si je redresse la tête et les épaules, je peux apercevoir le ciel paisible, bleu, joyeux. J’essaie d’atteindre la lumière là-haut, m’étire de tout mon long et j’ose même respirer de cet air glorifiant tout en étant différent.
Aussitôt, je me voûte tout entière sous les assauts d’un chagrin sans nom. Des visages flous, inconnus, difformes et faux défilent. Et moi je tombe, je tombe. Je tombe au ralentit dans un monde obscur, au gré de ces quelques filaments de pensées qui me détruisent et qui défilent sur fond d’azur. Des couleurs, puis la noirceur.
Parfois, je me demande pourquoi.
Pourquoi ai-je été m’enivrer de la chaleur de mes semblables?
Pourquoi ai-je si mal de respirer, de vivre, de m’accomplir en leur présence?
Mais je resterai ignorante toute une vie durant, j’ai cessé de me poser ces questions.
J’étouffais à mourir sous le poids de tant de regards dédaigneux.
Formidable, c’est ainsi que la valse s’anime. Scène première : mon corps de pierre se fend, se fracasse douloureusement contre le gravier du sol terreux. Seule narratrice de cette histoire, la forêt joue de ses yeux multiples, me fixe. Il me reste peut-être quelques morceaux intacts de ce que j’ai pu être, mais je ne les vois pas sur le sol. Uniquement une marée de chairs antipathiques qui me transpercent de leurs sourires ingrats. Je tourne. Ça tremble.
Scène seconde : le cri d’un oiseau caresse le son chaotique de l’air brisé par ma propre folie. Ça tourne toujours. Je tremble. Je ne PEUX pas être seule. Je parcours l’assemblée d’un regard ravagé par leur présence. Lors de mon maigre voyage, je me heurte violemment à un vide. Rien. Ces zombies parcourent une existence tellement semblable les unes des autres que ça me dégoûte. J’en tombe. J’en tremble.
Il doit y avoir une solution, me dis-je encore. Et encore! Les femmes, les enfants, les messieurs. Les chiens, les chats, la plus verrue des crapauds.
Ma belle ennemie, bête trop téméraire que représente la douleur, semble saisir entre ses crocs l’ensemble de ma vitalité en fauchant sentiments et avenir. C’est sans aucun procès ni répit que je me retrouve sur la potence, les pieds instables et la tête lourde. Quelques visages connus me persécutent encore quelques instants. Ces visages sont clairs, déplaisants, déprimants. Eux aussi.
Tout au fond, j’en suis persuadée, si l’on creuse avec la minutie d’un être au cœur pur, j’existe encore. Toute petite et perdue dans les mers qui transportent mon chagrin. Je me complais à imaginer les longues successions de mers de larmes qui sillonneraient des contrées abandonnées et qui nourriraient la fontaine de Jouvence d’un sentiment qui se veut légitime. Peut-être, finalement, qu’une âme perdue qui crie et qui hurle car elle était depuis si longtemps sur-enchaînée dans les bas-fonds d’un océan de larmes déjà elles-mêmes noyées d'une douleur passée. Soit, j’étais réellement seule. Seule parmi tant d’être identiques et tous faux.
Ma torpeur a cessée et les flots se sont calmés. Je me suis mise en boule comme lorsque j’étais enfant. Je suis maintenant baignée d’un mince linceul transparent et qui siffle d’une façon insupportable dans un vent que je peine à remarquer.
Pour l’instant, je continue d’afficher mon plus beau pas dansant pour une société lassante, mais je tremble plus que jamais sous le poids de leur complaisance volontaire dans l’ignorance. La volonté d’oublier le nuisible. De leur méchanceté. »