Hier soir j'étais au théâtre. Ma prof m'avait demandé de faire deux regards, l'un a gauche, l'autre à droite, les deux étant évolutifs. Après l'avoir exécuté, elle m'a dit que depuis le début de l'année je m'étais créé un personnage, un personnage permanent, qui me bloque totalement. Ca me fait chier parce que c'est un truc que j'ai développé depuis l'échec de septembre, et pas seulement au théâtre.
Dit de façon plus claire, j'ai tenté ma candidature pour entrer à ce qu'on appelle la COP qui est le cycle professionnel du Conservatoire, sorte de prépa pour accéder aux grandes écoles de théâtre.
Je me suis retrouvée (sur les deux semaines de préparation à l'audition) avec un partenaire indécis sur son voeu de continuer. Résultat : nous n'avons répété que DEUX fois pour passer devant le jury, et devant la certitude de montrer un travail pourri, j'ai développé un personnage béat et coincé corporellement, dont je n'arrive plus du tout à me défaire.
Après qu'elle m'ait fait cette remarque, je suis allée m'isoler un moment, ça m'a perturbé. En remontant je sentais déjà les palpitations et les tremblements qui s'en suivent toujours.
Au lieu de rester fumer ma clope avec les autres, je suis allée dans la salle en essayant de réfléchir, mais les palpitations devenaient de pire en pire. A partir de ce moment il n'y avait plus que mon corps qui régissait ma façon d'être, je sentais que c'était la spasmophilie qui prenait le dessus, et je ne me sentais absolument pas de demander un sac plastique à quelqu'un en partant très vite ; ça me fait chier d'être une charge dans ces moments-là, et je ne veux pas que les autres puissent penser que ça ne va pas. Je me suis levée, suis passée devant les sièges - en m'en prenant quelques uns dans les jambes - et j'ai attrapé ma prof pour lui dire que je devais rentrer assez rapidement, auquel cas je risquais de faire une crise. Elle m'a emmenée dans les marches, et nous avons parlé. Les tremblements se sont un peu calmés. Pendant une demi heure nous avons parlé. Elle m'a dit qu'elle voyait bien que - comme on dit dans le métier - je ne prenais pas bien soin de moi. Je lui ai expliqué que depuis l'audition - qui soit dit en passant m'a fait le coup d'une claque dans la gueule bien pire que quand j'ai raté mon bac - j'avais eu une sorte de mécanisme de défense pour jouer. J'ai donné tellement de moi dans ces deux semaines, bien plus qu'en cinq ans de scène, et tout ça pour se retrouver à devoir encore rebondir, que cette fois-ci ce n'était plus possible pour véhiculer ses émotions de façon naturelle.
Causes : en moins d'un an, j'ai raté mon bac, mes parents ont eu la lubie de divorcer, ma mère à eu un cancer du sein et ma cousine a décidé de tuer sa meilleure amie. Waw, c'est très dur d'écrire ça, ça fait un truc, un pincement.
De toutes ces conneries, je n'ai pas eu le temps de souffrir si on peut dire ça comme ça.. Je ne me suis jamais laissée aller, parce qu'il a toujours fallu que je soutienne ma mère, mon père, ma soeur, et autres tante et cousines. Bien sûr j'ai eu des moments de déprime, mais je n'ai jamais pu vraiment prendre du temps pour pleurer, pour tout lâcher sans me soucier du reste. Pourquoi ? Parce qu'il est impossible de se laisser aller quand autant de gens dépendent de toi. Je ne veux pas être un poids pour les autres, je ne veux entraîner personne vers le fond. En février, quand on m'a proposé d'aller consulter un psy, j'ai préféré dire non. D'une parce que je considère ça comme un échec personnel, et de deux parce que je sais que de tout faire remonter à la surface va me rendre triste sur l'apparence, je ne pourrais plus rien cacher ; je deviendrais un poids pour mes parents. Un poids également financier, parce que bien sûr mesdames et messieurs les psychologues et autres psychothérapeutes ne sont pas remboursés par la sécu, et paf 40 euros à chaque séance pour mes parents.
Je m'étais souvent dit que je me trouverais un job pour me financer ça, ce qui reviendrait à dire que je devrais attendre d'avoir fini la fac. Ca me fait mal de voir que je ne peux pas, parce que quand bien même je pourrais rester dans cet état de latence émotionnelle, je suis incapable de me laisser aller au théâtre : c'est un peu comme deux états différents, l'un est muet, l'autre serait "too talkative" (j'ai toujours un peu de mal à trouver un bon mot en français pour traduire ce mot là..). Et il est impossible de vivre de cette façon, parce que l'expression émotionnelle prendrait le pas sur mon mutisme.
Ce serait tellement plus simple si je pouvais vivre sans le théâtre, mais si je me le retire, je ne sais pas ce que je deviens.
La prof m'a dit aussi que j'avais des valeurs, un univers déjà là (parce que la différence du jeu se fait sur l'imaginaire, à travailler ou à désinhiber selon les personnes) et que je faisais partie des comédiens qui ne sont pas seulement ici pour se divertir, mais plutôt pour faire une différence sur scène (mon Dieu, mes mots ont l'air tellement vantards...) dans le sens où je suis capable comme tous ceux de l'année dernière de montrer un "moment de théâtre".
Elle m'a aussi dit qu'elle partageait mon avis quand je lui ai dit qu'il était difficile de donner face à certains qui semblent rester perpétuellement dans des états superficiels, c'est à dire ne jamais rentrer dans le fond des choses, concrètement comme quand on fixe quelqu'un un certain temps, quelqu'un qui nous attire par exemple, et qu'on détourne le regard. C'est difficile d'aller plus loin à partir de là, et de faire quelque chose de profond tout seul de prime abord, pour que les autres aient alors envie de de le faire aussi. C'est ça que nous, les anciens, sommes capables de faire, et devons faire d'après ce qu'elle semble me dire, mais c'est difficile de se mettre à poil d'un coup devant des gens qui sur les premières secondes, vont te montrer du doigt. C'est le regard des autres qui est dur sur ce point, mais on ne devrait pas ressentir ça en montant sur un plateau devant d'autres comédiens. Quand je serais prête, que j'aurais enfin pu surmonter toutes mes conneries, là je tenterais de le faire avec tout mon coeur. Mais pour l'instant, je sais que si j'essaye de le faire je ne saurai pas me contenir à un simple exercice, j'éclaterai et j'aurai trop de mal à m'en remettre sur l'instant. Ca, ça c'est une chose inutile à faire endurer aux autres.
J'aimerais me dire qu'elle soit fière de moi, sur une seconde.
Avec tout ça, elle m'a expliqué sa façon de procéder avec nous, j'ai admiré. J'ai admiré parce que jamais elle ne cherche la manière violente de nous faire faire quelque chose, contrairement à l'autre professeur qui à une manière totalement différente de faire. Si les deux sont bonnes, il est des instants où il est mieux de ne pas brusquer.
Après cette discussion, totalement ébranlée par ma découverte, j'ai décidé de rentrer, elle a compris. J'étais bouleversée, tellement que j'ai parlé de tout ça à mes parents en rentrant, ce qui ne m'arrive presque jamais sauf quand c'est grave, comme pour le meurtre par exemple. Ca déferlait comme un flot sans fin, un peu comme si je n'avais plus aucune conscience de ce qui se fait ou non dans les rapports de société, un peu comme quand tu fumes un joint et que tu es obligé de préparer ton discours face à tes parents pour justifier que tu as du mal à parler. Je leur ai dit, le mot est tombé : psy. "Maman, envoie-moi chez le psy, je ne peux plus faire autrement".
Ca m'a fait chier, tellement de ne plus pouvoir me contenir. Je n'ai plus le choix, je vais travailler sur moi même parce que sinon je n'arriverais plus à agir normalement en société, face à mes proches. Je ne veux pas être un poids. Je les rembourserai plus tard pour le coût financier.
On m'a conseillé d'écrire plus. Au fond je pense que le fait de tenir un journal en ligne change radicalement (ou presque) nos mots, parce qu'on sait qu'on peut être lu, et on aime ça parce qu'on pense qu'on est moins seul, qu'on peut laisser une trace ou encore faire des appels d'urgence. J'arrête désormais de contrôler mon débit de paroles. A partir de cet instant, je décide de ne plus rien censurer ou presque. Je m'excuse d'avance, ceci contribuera à mon retour sur moi-même, moi, moi et moi, exit le regard extérieur.