C'est loin l'Ouzbékistan non ?
Ben disons, c'est pas comme si tu allais à Cahors...
Comment on peut aimer quelqu'un qu'on a jamais vu ?
Parce que c'est comme ça, c'est la modernité petite madame.
Ouais, mais moi je suis vieille France je crois, le progrès, parfois, ça me dépasse.
Il me dit qu'il m'aime, mais je crois pas qu'il s'imagine...
Qu'il s'imagine quoi ?
Ben de quoi j'ai l'air...
Arrête de suspensionner, dis les choses.
C'est dur. Et les silences ça dit des choses non ?
Non mais là, tu suspensionnes, tu dis pas ce qui te brûle la gorge.
Non, j'le dis pas. Non, j'ai les j'tons.
Tu lui as dit que tu l'aimais ?
Non, je lui ai dit que j'étais amoureuse, cépapareil.
Et lui, il sait que tu es...enfin...
Que je suis quoi ?
Ben ce que tu crois là.
Tu vois toi aussi tu suspensionnes.
Je suspensionne parce que tu ne me dis pas les choses.
Il m'a dit qu'il était amoureux. Mais seulement parce que je lui ai tiré les vers du nez.
Ah ben quand même, ça, c'est une première non ?
Oui ! Mais...
Mais ?
Ben je suis, je suis...
Tu es ?
Je suis...moche.
Il a vu ta tête ?
Oui.
Ben alors. Il est quand même amoureux non ?
Oui. Mais...
Mais ?
Mais il a pas vu le reste.
Ah.
Ouais.
Et ? Il le sait ?
Oui, je lui ai dit.
Et ? Il est amoureux quand même ?
Oui.
Ben alors ?
Ben alors, je crois...je veux dire...je pense que heu...
Cesse de suspensionner, dis le enfin !
Je crois qu'il m'imagine mieux que je suis.
Mieux comment ?
Je l'impressionne, je l'intimide, je suis palpitante et subjugante, il dit presque que je suis trop bien pour lui. Il dit des choses folles qui me rendent folles, qui me rendent belle et séduisante.
Ah ! Tu vois ?
Mais non, je vois pas. C'est lui qui est trop bien pour moi.
Tsss.
Je vais me briser le coeur.
Comme d'hab' non ?
Ouais, comme d'hab'. C'est pas possible d'être aussi nulle.
Ah ça oui, tu le fais exprès. L'Ouzbékistan quand même. Sur ce coup, tu fais fort.
Je sais...
Tu l'aimes ?
Grave.
Même si toi aussi tu as juste vu sa tête ?
Grave.
Malgré son caractère de merde ?
Surtout grâce à son caractère de merde.
Ben voyons.
Ben ses défauts c'est aussi le mystère tu vois ?
Non j'vois pas...le mystère, j'vois pas non.
Ben il est entier, presque violent dans ses réactions, mais il dit pardon, je suis désolé. Et moi ça me fait du bien parce que j'ose lui dire t'es rien qu'un con. Enfin non, j'ose pas encore, mais je crois que j'oserai lui dire quand ça me va pas. J'ai déjà osé. Un peu. Et puis j'aime bien son autorité.
Son autorité, la pauvrette, elle cherche un papa !
Non ! tu comprends pas...Il m'aide à remettre de l'ordre dans ma vie si dissolue diluée. Je me mets à avoir des heures, à agir, oui agir, ne pas laisser les choses glisser sur moi. Il me cadre, il me drive, il ne me laisse pas me laisser aller.
Ta phrase est laide.
Je m'en fous.
Tu sauras t'affronter à lui ? Te confronter à lui ? Ne pas être cette petite chose molle et sans volonté que tu deviens quand tu aimes ?
Oui !!
A d'autres...
Si ! J'ai envie de me bagarrer avec lui.
Nous v'la bien.
Oui...
Misère.
Ben j'aime bien l'impressionner, l'intimider, j'aime bien me sentir haut de gamme, il me fait sentir super haut de gamme. Je suis haut de gamme non ?
Alors ça !!
Ouais, je suis haut de gamme, un truc de fou. Je me trouve plutôt pas mal en ce moment, glam' sexy jolie même. Alors que j'étais devenue tellement moche après l'autre.
L'autre, nous y voilà.
Ben oui quand même. Cépapareil.
C'est facile, l'autre, il t'a jamais dit qu'il était amoureux. Alors, garde les pieds sur terre Nenette, jouis des palpitations de ton coeur quand tu lis des je t'ai attendu toute la journée, mais ne décolle pas trop haut, gaffe à ton coeur rafistolé.
C'est naze de dire ça, c'est naze, parce que, c'est toi qui me le répète tout le temps, c'est naze parce qu'anticiper la merde, c'est le meilleur moyen de la faire venir, c'est naze parce que la peur elle empêche tout. C'est naze parce que 7561 km et bien, ça m'a même pas fait peur. Ca aurait du, mais non, que dalle, je suis allée droit dedans, tête baissée. Alors maintenant, tant pis. C'est trop tard pour m'empêcher d'avoir le coeur brisé. Je l'ai déjà eu tant et tant de fois en miettes, une fois de plus ou de moins hein ? J'ai tellement cru que je m'en remettrai jamais, j'ai tellement dit, après l'autre que c'était fini et regarde où j'en suis maintenant ? Tête la première. Sans les mains. Les yeux grands ouverts face au danger. Et si je me plante ? Si je me plante tant pis. Je suis le Sisyphe de l'amour, l'Ivan Denissovitch de la passion. Ouais m'dame.
Hin hin, t'es trop conne.