Mamie,
Je ne t'ai pas connu, je n'ai jamais pu te voir. J'ai jamais rien pu faire avec toi. Alors que d'autres ont pu profiter de ta présence, qui n'ont peut-être pas apprécié à sa juste valeur.
Je n'ai pu avoir que des éloges de ta personne. Enfant, j'ai rêvé de t'envoyer une lettre au paradis, la donner à un petit Cupidon. J'ai rêvé de cela pendant des années en pensant à des stratagèmes pour t'envoyer cette lettre. Je me suis dit que si je volais, j'aurais pu te la donner en mains propres. Que si je mourrais pendant quelques secondes, j'aurais pu te l'envoyer et puis qu'on me réveille juste après.
J'aurais pu savoir ce qu'il y avait de l'autre côté. Savoir si il était vrai que tu jouais avec les nuages, que tu jouais aux cartes comme le disait maman. Je voulais savoir si tu y étais bien...
Avec le temps, j'ai mûri et j'ai appris ce qu'était un cimetière. Et devant ta tombe, je priais si fort, je serrais mes mains si fort et je parlais si fort dans ma tête que je pensais que tu m'entendais.
Et maintenant je me dis, que t'es un peu comme la tête du bébé dans le soleil du dessin-animé Teletubies. Je me dis que tu dois veiller sur moi, que ta vie n'a pas pu s'arrêter là. Ce n'est pas possible, pour quelqu'un qui mérite plus que le paradis.
De peu j'aurais pu être dans tes bras, avoir une grand-mère aussi formidable pendant au moins quelques minutes. Je me dis que c'est la loi de la nature : une personne meurt pour laisser sa place à une personne qui naît. Donc je ferais en sorte d'être reconnaissante de la chance de pouvoir vivre.
Ce que je regrette, c'est de ne pas avoir pu te parler, avoir tes conseils. Savoir que tu étais quelqu'un de droit, qui aimait la vie plus que tout, qui avait tout le temps quelque chose à faire, sévère mais aimante. C'est ça qui me tue. Car je me vois en toi. C'est sûr on aurait eu des prises de bec, mais ma mère a manqué d'un exemple pour m'élever et moi j'ai manqué d'une grand-mère pour m'apprendre les choses de la vie. Il y a des choses qui je pense n'auraient pas eu lieu, que je n'aurais pas eu à regretter. Et d'autres où tu m'aurais épaulé. Peut-être ai-je une vision idéaliste, mais j'aurais voulu avoir l'occasion de croiser ton regard, que tu me prennes par la main, qu'on fasse des gâteaux ensemble, que tu m'apprennes à faire de la balançoire, que tu me raisonnes sur mes relations amoureuses.
On m'a souvent dit :" Ce sont les meilleurs qui partent en premier"... Je crois que cette phrase s'applique à toi. J'ai envie de te dire "désolé". Je suis désolée.
Désolée, si je t'ai déçu. Désolée, que tu sois partie si tôt.
Je me demande souvent comment tu me trouverais. Est-ce que tu serais fière ? Est-ce que tu aurais honte ?
Puis est-ce qu'on aurait été complice ? Comment tu trouverais ma soeur ?
Et ce qui me fend le coeur, c'est le fait que tu as dû t'imaginer grand-mère et avoir tes petites-filles autour de toi. J'aurais aimé être là à cet hôpital et te crier : "BATS TOI". Te donner ma force pour que tu survives, et que tu battes une seconde fois ce cancer de merde. J'ai mal, j'aurais voulu qu'on en fasse plus pour toi, qu'on te booste, qu'on se batte pour toi aussi. Je me dis qu'on t'a abandonné car ils pensaient que tu vaincrais une seconde fois ce cancer.
Tu ne méritais pas ce sort. J'espère juste que tu joues à saute-mouton avec mon chien et mon chat dans les nuages.
Ta petite-fille.