À Canaan, une communauté située à l’entrée nord de Port-au-Prince, vivent plus de 300 000 sinistrés du séisme du 12 janvier 2010. Cette zone déclarée d’utilité publique par arrêté présidentiel en date du 22 mars 2010, loge à elle seule 3% de la population haïtienne dans des conditions infrahumaines. Dans cet ancien lieu de pèlerinage, les services publics n’existent pas. Presque pas d’école primaire voire secondaire, pas de centre de santé, pas d’espace de loisirs etc. Somme toute, la vie à Canaan semble invivable.
Josaphat, un adolescent de 10 ans, habitant la localité, ne cache pas sa frustration face à l’Etat qu’il dit irresponsable : « Cela fait plus de 5 ans depuis que nous sommes à Canaan. Aucun gouvernement ne vienne nous voir. Je ne peux pas aller à l’école parce que mes tuteurs n’ont pas de quoi payer mes études scolaires. Depuis la mort de mes parents, je ne vis qu’à la merci des autres. » Dit-il avec amertume. Josaphat n’est pas le seul à vouloir retourner à l’école. Jeannine qui répondait à nos questions a elle aussi cette envie de reprendre ses études qu’elle a dû abandonner après le séisme. « Avant 12 janvier 2010, j’étais en 5ème année fondamentale. J’aimerais bien continuer mais malheureusement… Il y a eu une tentative pour implanter une petite école près de chez-nous ça n’a pas pu marcher vu que nos parents n’ont pas de moyens pour payer le petit frais », se désole-t-elle.
Interrogé sur la question, le maire de la Croix-des-Bouquets ne cache pas ses inquiétudes sur le devenir de cette bidonvilisation. Nos maigres ressources ne nous permettent pas d’avoir un plan d’urbanisation, malheureusement. On ne sait pas ce qu’il pourrait advenir dans 5 ou 10 ans si l’Etat central n’agit pas vite et maintenant. Canaan est divisé en 5 blocs, il y a certain bloc qui sont privés de tout : eau, centre de santé, électricité, établissement scolaire. Qui pis est, la population ne cesse de s’accroître et les conditions de vie se dégénèrent. », Avoue, malgré lui, le premier citoyen de la commune de Croix-des-Bouquets qui devrait assurer la population d’une prise en charge.
Au regard de cette situation, combien de rêves de ces nombreux jeunes en âge d’aller à l’école sont déjà dissipés dans les nuées ? Combien d’adolescents ont déjà vu le train partir sans eux ? Dans cette urbanisation sauvage, ces 300 000 âmes pataugent dans la misère la plus abjecte, une misère qui peut se lire sur les visages de ces oubliés de la société. Sans la moindre assistance de l’Etat, ce site étendu sur plus de 1 000 hectares de terre est l’exemple patent d’un vaste bidonville en gestation.
En juin 2013, l’ancien Premier Ministre Laurent Salvador Lamothe, accompagné de l’ancien Président du Senat Dieuseul Simon Desras, avait effectué une visite dans la zone et avait promis que l’Etat allait prendre en charge les besoins les plus pressants des 58 000 familles qui habitent ce lieu par le biais du Fonds de Reconstruction d’Haïti(FRH), géré par la Banque Mondiale. Jusqu’à notre visite, la réalisation de ces promesses tarde à venir. « Nous avons choisi de venir ici parce que nous n’avons nulle part où aller après le séisme. Nous avons cru qu’une fois installés, l’Etat allait nous prendre en charge. Jusqu’ici rien n’est fait pour améliorer notre condition de vie. Nous espérons quelque chose du gouvernement Martelly-Paul », déclare Jean-Abner, père de 4 enfants, qui n’ont pas encore mis les pieds dans une école.
Il est évident qu’habiter Canaan devient un châtiment pour la population de cette zone qui a eu tort de croire à un lendemain meilleur après le cataclysme du 12 janvier 2010. Habiter cette communauté, c’est accepter malgré soi de vivre dans l’indignation. Pour les adolescents et les jeunes, c’est renier à leurs rêves les plus chers, c’est aussi accepter de ne pas fréquenter une école ou de parcourir des kilomètres pour se faire éduquer. Enfin, habiter cette localité c’est aussi faire face à des risques de catastrophes naturelles car selon une évaluation publiée par l’OCHA en février 2011, il est révélé que ce site présente des risques de glissement de terrain en cas de fortes pluies.
Israël JEUNE,
Étudiant en Communication sociale,
Faculté des Sciences Humaines