Harcèlement de rue

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" Circulez y a trop à voir "

4 janvier 2017 à 20h30

Aujourd’hui, on est le 22 décembre 2016 et je veux mettre par écrit mon histoire.

Je n’ai jamais voulu faire de journal ou quoi que ce soit mais il me semble que c’est à présent une nécessité. Vous devez savoir pourquoi j’en suis arrivée là.

Vous entendez à la télé les discours de Trump et ça vous fait rire . Félicitations, vous êtes l’un des leurs. Je ne pense pas être la seule dans mon cas, je ne suis pas la seule dans ce cas c’est même sûr. J’entends de plus en plus de témoignages semblables au mien mais aussi toujours plus de personnes répliquant par des saillants « Oh, mais c’est pas grave, il t’a pas fait de mal ».
Voici, pour vous, un échantillon mince de ce que je vis quotidiennement...

Un soir, j’étais sortie avec des amis et un homme, tout a fait inconnu m’a chuchoté à l’oreille :
“Tu fais la maligne maintenant, mais je sais où tu habites. Je sais où tu fais tes courses, fais attention à toi le soir.”
C’est super pour se sentir en sécurité. Ne l’ai-je jamais été de toute façon ?

Un autre jour, en sortant de chez moi, un homme me pose des questions à propos du voisinage et m’a dit en me regardant droit dans les yeux :
“Toutes des salopes et des reproductrices!”
J’ai fortement apprécié être assimilé à une poule, comme si je n’étais qu’un appareil génital seulement bon à mettre au monde.

Un soir, je suis sortie avec des amis mais je me suis décidée à rentrer chez moi vers 1h du matin, un homme d’une trentaine d'années m’a alors dit dans la rue en réponse à mon refus de lui parler :
« Sale chienne, t’es qu’une sale grosse d’arabe. je te baise, et la loi me protège.»
Je ne savais pas si je m’autorisais dans ce témoignage à parler des mesures mises en place par le gouvernement mais j’ose. Dans un pays tel que la France, qui est censée prôner l’égalité, c’est une honte et c’est accablant de savoir qu'au fond, cet homme à raison, il sera bel et bien protégé par la loi car le viol est souvent nié par les autorités.

Un soir, ou plutôt un matin, je me suis endormie de fatigue et un homme a commencé à mettre sa main dans mon short et m’embrassait. Un autre homme est venue me secourir, j’étais reconnaissante mais pas pour longtemps. Ce dernier, « mon sauveur », m’a entraînée dans les toilettes et m’a dit dans le plus grand des calmes et sans aucune pression :
« Bon… et j’ai quoi en échange?»
Parce que c’est vrai que si je sauve quelqu’un de la mort aujourd’hui, j’ai un droit de vie sur lui. C’est pour ça qu’il a le droit de m’agresser, il m’a lui-même sauvé d’une agression. Il est évident que je réagis avec beaucoup de sarcasme mais je pense qu’il vaut mieux ici que vous compreniez le mieux possible ce qui se passe. Aujourd’hui, dans la rue, toutes sortes de personnes se pensent permis d’atteindre à la tranquillité et à la sécurité d’autres personnes. Vous trouvez ça normal .

Vous trouvez ça normal que dans le bus, deux hommes suisses pensants que personnes les entendaient disent après m’avoir regardé durant tout le trajet :
« – Ah elles deviennent toutes les mêmes, difficiles de ne pas regarder. Foutue société d’aujourd’hui où on peut pas en disposer !
– Remarque, on pourrait s’en occuper tu sais, qu’est-ce qu’on risque après tout ? On passera à la télé et puis voilà, ce sera tout… » ?
Parce que moi ce que je vois objectivement c’est une suggestion de viol, et un manque total d’intérêt pour les répercussions que ça peut entraîner. Un viol, c’est une atteinte à la personne qui est irréversible et handicapante pour le reste d’une vie. Un viol résulte généralement d’une perte totale de confiance en soi et de la chute dans un cercle vicieux d’une personne. Un viol, c’est un peu comme un meurtre sans la mort. On ne ressort pas indemne d’une telle expérience, je suis bien placée pour vous le dire. Alors si aujourd’hui, les gens n’ont pas peur des conséquences, que vont-ils faire demain ?

Ce n’est pas seulement dans la rue mais aussi dans les transports en commun. Ce n’est pas seulement une catégorie de personnes mais bien tous les genres. Un contrôleur en montant dans le train un mardi soir :
« Alors mademoiselle, on a bien son billet . Sinon on peut s’arranger autrement, je suis sûr que ça te plairait. »
Parce que bien sûr, le corps d’une femme est à vendre.

Et quand j’ai le courage de dire non, ça ne se passe pas comme il faut non plus :
« T’as un numéro ma jolie . Je sais que oui, c’est 2015. Tu ne veux pas me le donner . Et si je te disais que j’ai une arme automatique sur moi . Ah t’es mal là, hein. »
Parce qu'évidemment menacer quelqu’un pour avoir son numéro, c’est logique et sain. Je suis censé faire quoi . Où sont les personnes censées mettre ce genre de délinquant en prison ? Pourquoi ne le sont-ils pas ? Pourquoi leur plus grand modèle est-il autant médiatisé ? Et comment une personne pareille peut se présenter à l'élection présidentielle d’une puissance mondiale .
Vous pensez vraiment qu’il y aura de la retenue alors qu’un homme aussi machiste que Trump est donné comme exemple à la télé . Vous les voyez venir les phrases : « regarde, lui il a réussi et t’a vu comment il parle des femmes ? Moi aussi je vais faire ça »
Un homme qui dit :
« Je suis automatiquement attiré par les jolies filles. Je les embrasse sans attendre, comme un aimant. Quand tu es célèbre, elles se laissent faire. Tu peux faire ce que tu veux ! Les attraper par la chatte, tout ce que tu veux. » est devenu président des États-Unis d’Amérique.
Nous sommes dans un pays qui se dit « féministe » mais où le féminisme à une connotation négative, où la femme féministe n’est sûrement aux yeux des gens qu’une femme frustrée qui hait les hommes, une « mal baisée » diront même certain, pour les autres et pour la plupart, ce sont surtout des femmes agaçantes, antipathiques.

Nous sommes dans une société où l’on prône soi-disant les droits de la femme mais où l’on voudrait encore décider pour elle sa tenue vestimentaire, comme pour le Burkini, qui priverait la femme de liberté, moi dans cette histoire, ce qui m’a choqué, c’est le fait de revenir des dizaines d’années en arrière et avoir l’impression qu’on dicte à nouveau mes choix : ne te maquille pas trop ça fait vulgaire, maquilles-toi plus tu fais négligée, ta jupe est courte ça fait un peu salope, le burkini c’est pour les soumises… Comme si notre corps ne nous appartenait pas, et cette mentalité se poursuit dans la rue.
Je me rend compte qu’à présent quand moi ou une de mes amies se fait agressée, nous en venons à dire « alors que je portais un jean quoi, c’était même pas court », alors que non, je suis en droit de m’habiller comme il me plaît, et si ce jour-là j’avais une jupe courte ça n’aurait pas non plus autorisé mon agresseur à me harceler.
Je suis en ce moment même, outrée et dégoûtée des conditions dans lesquelles nous vivons. Nous sommes dans un pays qui se veut libre mais nous sommes oppressées. C’est à se demander si nous avons les mêmes droits élémentaires : s’habiller comme on veut, sortir tard, rentrer tard, vivre, circuler, bouger.
Mes amis masculins ne comprennent pas mon besoin de prendre un taxi pour rentrer chez moi le soir, oui c’est vrai, je suis plutôt grande, je ne suis pas la première qu’on penserait à agresser. Ce qu’ils ne comprennent pas mes amis, c’est que ce n’est ni la taille, ni le poids, ni le style, ni même la beauté qui vous définit comme une potentielle agressée, c’est juste le fait que vous soyez une femme, aux yeux de certains hommes.
Ce qui me touche, me révolte, c’est ces gens que j’ai croisé, ces regards apeurés, ces actes avortés, quand je me faisais agresser… Je sais que la police ne peut pas être partout, mais si ces gens recommencent, c’est qu’ils le font en tout impunité, sans que personne ne leur ait jamais rien dit. Ils se sentent intouchables en instaurant une forme de terreur, de malaise. Pour moi dans ce genre de situation, il n’y a pas que l’agresseur et l’agressé, il peut y avoir aussi d’autres intervenants, des gens qui ont la possibilité, la responsabilité même, de venir en aide à l’agresser, mais ils se transforment le plus souvent en spectateurs. Et cet agressé, est alors humilié devant une foule de personnes, certaines amusées, d’autres indifférentes, d’autres encore choquées… Et il n’y a rien de pire que de croiser des regards fuyants… Je pense que la solidarité peut sauver, un agresseur est souvent lâche et si une voix, au milieu de cette foule, s’élève, qu’on soit homme ou femme, elle ne sera pas veinée, même si ce n’est que pour redonner confiance en l’agressé.
Le harcèlement est partout et sous toutes formes, que ce soit un mot balancé par un collègue sur ta tenue de travail, que ce soit un homme qui te suive, que ce soit une blague salace d’un inconnu, que ce soit une menace de viol, que ça aille même plus loin… L’agression ne commence pas au viol, elle commence là où l’on rabaisse autrui, et c’est tristement le plus souvent les femmes qui vivent ces agressions au quotidien.
Vous pensez peut-être que ça ne vous concerne pas, parce que vous, vous ne faites pas ça. Mais regardez autour de vous, ouvrez les yeux et vous verrez que c’est partout, tout le temps. Vous voyez ces filles là-bas en train de se faire harceler .
Ces filles-là, c’est moi, ta sœur, ta fille, ta collègue de promo, ta cousine, ta pote, ta meilleure amie, ta collègue de travail... Je suis chaque femme qui a osé sortir dans la rue et ne pas donner son numéro ou voulu coucher avec le premier qui demande.

Les agressions racontées, nous viennent du site « paye ta shnek », site relatant et mettant en lumière les agressions vécues au quotidien par les femmes, qui nous sont même devenus quasiment normaux, il montre que chaque cas n’est pas isolé, que le harcèlement se vit partout, tout le temps.
PROJET ETC

Souteyrat—Bréat Marion – L3 MIASHS
Weinhard Lerouge Jeanne – L1 Lettres Modernes
Santoniccolo Lisa – L1 Droit