"Tu n'écris plus comme avant alors non, je n'y crois pas. Un écrivain est quelqu'un qui s'intéresse à ce qui l'entoure, qui lit et qui gratte plusieurs pages chaque jour."
"Ce n'est pas un métier."
On parle comme si l'écrivain n'était bon qu'à réécrire le monde et à réveiller en nous les plus beaux fantasmes. Ceux qui écrivent ne sont que poussière, illusion ; l'écrivain donne alors naissance aux rêves mais ne les vit jamais. Ils observent et sont curieux sans jamais se contenter de rien - ils doivent être ouverts d'esprit. C'est ainsi que ma mère pense, je crois ; cela m'a rendu triste quand j'ai su qu'elle me trouvait inculte et incapable de réussir. Elle pense qu'aller en L ne me plaira pas et que je ne peux même pas m'imaginer entrer en S. Pour être sincère, j'écoute ses conseils mais elle parle de ce que j'écris sans y jeter un coup d'oeil. "Tu n'écris rien ces jours-ci. Et quand c'est de la fiction, tu ne fais aucune recherche avant ! Tu manques vraiment de culture générale". Et si c'était le cas, putain, où est le rapport avec la filière que je prendrai l'année prochaine ? Prétention ou non, je veux être écrivain et je compte m'y donner corps et âme pour y parvenir ! Maman aurait dû ne rien dire - à ce que je sache, elle n'écrit pas et ne sait donc pas ce que je ressens. Elle ne sait pas que depuis février dernier, je pleure dans mon lit le soir : je suis en manque. C'est comme si j'avais la cigarette mais pas de briquet pour l'allumer ; je n'arrive pas à écrire et c'est à partir de là que les cauchemars ont hanté mes nuits. Ma mère ne comprend pas à quel point j'ai l'impression de mourir quand je n'écris pas. Et si ce n'était pas important, je ne me serais jamais énervée sur elle - cela me rend nerveuse alors quand elle a remué le couteau dans la plaie, je n'ai pas pu m'empêcher d'être sur la défensive. Qu'est-ce qu'elle croit, que je me la joue à la vieille fille sans talent qui croit un jour qu'elle va percer ? J'écris car j'en ai besoin, c'est tout. Ce n'est pas pour aller mieux, c'est pour aller bien. J'ai seulement pris l'habitude de laisser mon esprit vagabonder au gré des phrases depuis que je suis enfant, et aujourd'hui, j'écris le sourire aux lèvres tant cela me soulage.
Je joue mon orientation cette année, mais sérieusement, écrire de la prose toute ma vie n'est pas mon objectif. C'est bien plus profond que cela, c'est mon rêve de petite fille, c'est une idée qui vient des tripes autant que du coeur. Je suis amoureuse de cette plénitude dans laquelle les mots m'enferment, j'aime ces cloisons autour de moi qui se forment ; je voudrais rester ici à écrire des millénaires encore, juste pour savoir si les auteurs rendent bien les choses vivantes pour toujours. Il y a une phrase magnifique qui dit qu'un écrivain amoureux de nous pourra nous faire vivre éternellement. L'homme que j'aime réussit à faire de moi une femme aussi accro à lui qu'à l'écriture. J'avoue avoir eu peur de faire un choix entre les deux ; et c'est en parti à cause de cela que j'ai cessé d'écrire. Le temps que je passais à relire mes vieux chapitres s'écoule aujourd'hui sur le tic-tac de nos deux voix au téléphone. Mais la nuit dernière, alors qu'il me manquait comme jamais, j'ai eu les mains qui picotent et je me suis souvenue que l'inspiration était la plus grande nyctalope que je connaisse. Alors avant que le jour ne se lève, j'ai allumé mon ordinateur et depuis je redécouvre un bonheur nouveau, une jouissance où pourtant je suis seule. Je crois me trouver à l'orée de cet apogée, de l'équilibre que je recherche depuis des années sûrement... je n'arrivais pas à profiter de ma vie en ayant un crayon à la main, mais il suffit de ne plus espérer : maintenant, j'oserai. J'écrirai sans écouter ma mère - car à l'entendre, on croirait qu'à présent, elle aimerait me voir bosser mes textes toute la journée. Elle ne sera jamais satisfaite de ce que je fais et je le réalise enfin. C'est horrible parce que j'essaie de la rendre fière, en vain.
Maman ne réagissait pas du tout ainsi il y a quelques mois, au contraire. Elle rêvait de me voir sortir, elle disait vouloir m'emmener chez un psychologue tant l'écriture me bouffait la vie et pourtant au départ, j'étais bien. Je passais mes soirées à lire les poèmes de Bashung, les lettres de Lil Wayne et de Gustave Flaubert, avec mon bloc-notes à la main car l'envie d'écrire me prenait toujours. De l'autre côté, maman s'inquiétait de toujours me voir à la maison et c'en est devenu un complexe tant elle me le répétait : j'avais peur d'aller dehors, je me sentais de trop et la seule personne à qui j'envoyais des messages était mon futur moi. Ma petite soeur passait ses après-midis avec ses amis et croisait les miens ; elle a commencé à me faire des réflexions et à se ficher de ma gueule. Je me souviens d'une fois où elle a déchiré un de mes textes et d'une autre où elle a insinué que depuis petite, je faisais semblant d'écrire et que je pétais plus haut que mon cul. Elle sait cuisiner, chanter, elle est jolie, plus grande que moi ; je ne lui ai rien demandé mais elle m'attaque, encore et toujours, sur mon besoin d'écrire. C'était une passionnée de cuisine, je sais tout juste faire cuire des pâtes, j'aimerais apprendre mais jamais je ne lui ai dit quoi que ce soit. Je me fiche de son ressenti quant à l'écriture, ce sont ses goûts mais je suis sa soeur... Elle ne respecte pas ce que je fais et raconte à ma mère que ce que je produis n'est pas si bien que cela alors qu'elle ne sait pas lire. Franchement, elle a treize ans et peine même à lire un Petit Ours Brun (je jure qu'elle a dit ça sur le ton de la rigolade une fois, mais c'est abusé n'empêche) ; pourtant elle est là, à juger mes textes - qu'elle n'a pas le courage de lire.
Quand j'étais élève de troisième l'année passée, je suis restée cloîtrée chez moi des jours entiers - mes écouteurs, les feuilles et mon stylo étaient ma drogue. Et en junkie des lettres, je ne sortais jamais dehors sans mon quota de lignes blanches à remplir. Ma mère m'a fait comprendre que c'était invivable pour moi et mes amis : ils se sentaient délaissés car il manquait quelqu'un à notre bande. Quand ils prévoyaient de sortir, je prétextais être absente ou malade pour m'enfermer dans ma chambre avec les mots. Je ne peux toujours pas me passer de ces derniers, mais à l'époque cela m'avait rendue insomniaque tant j'y pensais. Ce sont mes protégés, mes enfants, mon refuge. Il y en a qui se roulent des feuilles pour aller mieux, moi j'écris dessus pour graver mon passage sur Terre à tout jamais. Je crois que dans le livre "Nos étoiles contraires", c'est la seule question qui a attiré mon attention. Se faire oublier un jour me donne la chair de poule... et pourtant, à quoi bon essayer de se tailler un nom quand on sait déjà qu'il le sera sur notre tombe ?