Le Horla du XXIème siècle

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2 Février 2007 à 17h33
Jour zéro

Jour zéro

Vendredi 2 Février 2007 à 17h33



J’ai décidé d’entreprendre le récit de ma guérison, plutôt que celui de mon naufrage.
Aujourd’hui est le jour zéro. Le dernier jour avant le grand départ vers le bonheur avec assistance chimique.

J’écoute « What a wonderful world » en écrivant…

Je crois que je peux me targuer d’être assez représentative de mon époque, de mon pays, de la société qui m’entoure.

Je suis française, j’ai 29 ans depuis moins d’un mois. Je suis dépressive chronique.

Etre dépressif chronique, au quotidien, c’est : trouver le monde pathétique et révoltant, et se trouver soi-même encore plus pathétique et révoltant, car incapable d’accéder au stoïcisme neutre que notre esprit supérieur devrait nous ouvrir.

Evidemment, je suis athée. La foi est une béquille que je ne connais pas, et ceux qui pensent qu’une vie meilleure nous attend après la mort m’attendrissent énormément, tout en m’agaçant beaucoup aussi. J’envie leur naïveté, qu’ils appellent optimisme.


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Ces derniers temps, j’ai commencé à perdre pied plus que d’habitude. Pour diverses raisons qui n’ont pas lieu d’être racontées ici…

Et il y a quatre jours, une violente crise de désespoir est venue interrompre ma routine. Comme ça, d’un coup.

L’envie de mourir m’a traversé l’esprit, vite d’abord, comme un caprice. Et puis c’est revenu, encore et encore, avec de plus en plus d’insistance. La souffrance s’est soudainement accrue, jusqu’à devenir intolérable, jusqu’à m’empêcher de faire quoi que ce soit. Je reviendrais plus longuement sur ces sensations, que je pourrais décrire seconde par seconde tellement elles s’incrustent profondément en celui qui les éprouve.

Devant ce danger imminent, mon instinct de conservation m’a permis d’accomplir deux gestes : aller voir mon médecin traitant, et aller voir ma psy. Le premier me donna un arrêt de travail, la seconde me renvoya chez le premier pour demander des antidépresseurs.

De toute ma longue vie de dépressive chronique (il est apparu que je le suis probablement depuis que je suis née), je n’ai encore jamais accepté de prendre ces médicaments pour le cerveau. Je n’ai donc jamais guéri.

Aujourd’hui, je suis dans une impasse. L’envie de mourir a pris le pas sur l’envie de lutter pour vivre. Près de moi, une tablette de ces « pilules du bonheur », comme me les a présentées mon médecin, ainsi qu’un flacon de gouttes anxiolytiques dont la liste des effets indésirables n’est pas faite pour calmer les angoisses…

Voilà les deux options sélectionnées par mon cerveau – malade, donc - : soit je prends tout de suite ce traitement pour arrêter de souffrir mais je devrais patiemment attendre d’en sentir les effets, soit je fais un ultime effort de représentation et j’attends assez longtemps (à peu près l’équivalent du temps qu’il faut pour que les cachets commencent à faire effet, c’est-à-dire quinze jours, trois semaines environ) pour en avoir suffisamment pour tenter un empoisonnement, mettant ainsi un terme définitif à ma souffrance.

Est-ce que j’aime assez la vie pour lui donner cette dernière chance ?

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Oui.

Je ne déteste pas la vie. Je ne souhaite pas tant mourir que d’arrêter de souffrir.

La vie peut être belle, probablement. J’apprécie la vie parfois. Les dépressifs chroniques ne sont pas des monstres sans cœur et sans émotions, au contraire, bien au contraire…

Et si je suis arrivée vivante jusque là, sans aucune aide médicale, c’est grâce à cette sensibilité et aux belles choses qui ont donné de la valeur à la vie à mes yeux. Musique et autres merveilles que j’aurais bien du regret à quitter.

Mais ai-je assez confiance en mes contemporains pour avaler leurs produits chimiques ?

* *

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Là est tout le problème.

Quelques chiffres, pour situer l’ampleur du problème. En France, plus de onze mille suicides par an, soit trois mille décès de plus que les accidents de la route, pourtant personne n’en parle. En France, une vente record d’antidépresseurs par rapport aux autres pays d’Europe, et mystérieusement, pas une de vos connaissances n’en prend…

En d’autres termes, sommes-nous vraiment malades, ou veut-on nous le faire croire pour nous affaiblir et nous éliminer plus facilement ?

Nos médecins ne sont-ils pas complices d’un vaste complot visant à éradiquer ceux qui ne veulent pas rentrer dans le rang ?

J’ai peur qu’on essaye de ne plus me faire réfléchir, j’ai peur qu’on essaye de me lobotomiser chimiquement pour que je ne dérange pas, pour que je ne devienne pas un danger pour la société.

* *

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Cela pourrait simplement être le délire d’une dépressive chronique de vingt-neuf ans, qui n’a pas envie de prendre ses médicaments, qui a juste besoin que quelqu’un s’occupe d’elle, qui n’a pas la moindre trace de tendresse dans sa vie, qui aurait juste voulu qu’on la prenne dans ses bras quelquefois…

Mais faire bouffer des comprimés c’est tellement plus simple que de prendre quelqu’un dans ses bras…


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Jour zéro.

Ma playlist se termine par hasard sur « Wish you were here »

Demain, je vais commencer mon traitement.

Avant le premier comprimé, j’écrirais longuement ce que je ressens et qui je suis, au cas où je disparaîtrais pour toujours.

Demain je me dirai adieu. Et je prendrai ce comprimé comme si c’était une capsule de cyanure.