C'est une étape, passer en secondaire. On pourrait dire que concrètement, c'est avoir 12 ans et être les "grands" pour devenir, toujours avec ces 12 années, les plus "petits".
Je ne me plains pas. Moi, ma première secondaire je l'ai passée avec 9 autres "amis" (le mot juste serait "connaissance") avec qui j'avais fait mes primaires. Sur les 20 élèves, hors mis moi et les 9 autres, il restait 7 "connaissance de vue" et seulement 3 électrons libres.
Elle était là. Maigre. Rousse. Et surtout, seule. Mon père est généreux, ma mère donnerai jusqu'à sa vie pour les autres, alors je veux croire que c'est dans mes gènes que d'être bon et serviable. Je me suis approchée, je lui ai demandé son nom. Elle s'appelait Martine, comme la petite fille du livre du même nom. Elle était mignonne, mais ça je ne le savais pas. Moi, je ne l'étais pas, et ça je ne le savais pas non plus.
Les `jours ont passés. On est restées ensemble. Elle et moi. Toujours. Complices, sans être trop proche. Là, sans l'être. Mais je savais tout d'elle. Les autres nous appelaient 'les meilleures amies du monde', mais elle ne m'avait jamais dit que je l'étais, et moi, je ne voyais pas l'intérêt de lui dire.
Un jour, nous avons vue une blonde, seule. Martine était comme moi, elle avait envie d'être gentille. Elle, la blonde, Tiffany, est de venue l'atome d'hydrogène qui nous manquait pour passer d'un état gazeux (l'O2) à un état liquide (l'H2O). Parfois nous avons gelé. Parfois nous avons bouillonné. Tantôt diluée dans la masse, tantôt unies dans le creux d'une main. Notre deuxième année s'est terminée. Nous nous étions donné rendez-vous l'année suivante.
Je les ai attendues, elles sont finalement arrivées. Ensemble. Je les attendais dans le froid, elles arrivaient, bras dessus, bras dessous. Elles riaient. Je ne les avais jamais entendues rire comme ça. C’était un présage. Comme toute évolution, la notre n’allait pas s’arrêter là. Pourtant, je trouvais que cet état liquide nous correspondait. Un autre de ces jours fastes, où je me sentais seule au milieu de ce monde en perpétuel mouvement, Tiffany ramena une autre fille, un brune cette fois-ci, qui s’était fait jetée par sa meilleure amie. Meilleure amie … Peut-on être trois meilleures amies sur un même pied d’égalité ? Peut-on vraiment apprécié deux personnes exactement de la même façon ? Et à quatre alors ? Trois fois une amitié sincère …
Après la brune, il y a eu un duo, une autre blonde et une italienne. Puis, il y a eu un mec, puis un autre. Ils sont repartis. Le duo est parti. Il est revenu. Puis d’autres groupes se sont rapprochés, ensuite éloignés … Un vrai yo-yo. Un jeu de cache-cache. Qui ne menait à rien, certes, mais qui, petit à petit, nous faisait évolué.
Mais le quatuor de base continuait à se jurer fidélité, moi, Martine, Tiffany et ma brune. La troisième année s’est terminée. Un horizon inconnu, insoupçonné, immense semblait s’ouvrir devant moi. Je me découvrais des passions, des défis. Martine aussi. Elle commença à changer, à s’éloigner.
La quatrième ? Ce fut un désastre. Pour elles, non. Elles ne se sont rendu compte de rien. J’ai vu une tranchée se creuser entre nous. Un fossé de passion, d’amis, de point de vue, d’esprit, … Mais surtout de capacité. Devant moi, un espoir de continuer dans les sciences, les maths, la chimie ; devant elles ? L’espoir d’avoir la moitié dans le cours de math, puis d’aller en boîte pour l’une, nager dans sa piscine pour l’autre, et enfin d’aller voir son père pour la dernière.
Maintenant, je suis en cinquième. Le matin je suis avec ma petite classe de math-sciences version poussée. Le midi je dîne avec tous des amis, un mix dont Martine, et la brune. Quand à Tiffany, elle a doublé. On ne partage plus rien, elle me dit juste bonjour le matin. Martine et sa nouvelle meilleure amie, la fille brune, elles, elles font de l’équitation, elles sortent, elles rient ensemble. Moi, je suis là, mais je me sens moins seule qu’avant, j’ai rencontré, non, j’ai découvert des gens biens, que je comprends. J’espère que ça continuera. Du moins pour les deux années qui me restent dans cette école.
Le plus dur, c’est d’accepter notre propre évolution, physique et mentale. Le plus dur, c’est de devoir se différencier, qu’on le veuille ou non. On change, c’est tout.